Tewfik Hasni, expert en transition énergétique : «L’industrie du solaire thermique est à notre portée»

Dans cet entretien, l’expert en transition énergétique, Tewfik Hasni, s’exprime sur les dernières démarches de Sonatrach en matière de développement énergétique, entre autres, l’investissement dans la production d’hydrogène vert. Il explique aussi comment l’Europe peut s’impliquer davantage en Algérie pour obtenir plus de gaz.

 Sonatrach considère les énergies renouvelables comme un futur levier de croissance qui lui permettra de jouer un rôle de premier plan dans la transition énergétique. Il s’agit, en premier lieu, de fournir des produits propres au marché et d’être en ligne avec les engagements climatiques de l’Algérie. En votre qualité d’expert, quel est l’apport actuel des énergies renouvelables ?

Il est difficile de demander à Sonatrach ou au lobby pétrolier de jouer un rôle de premier plan dans la transition énergétique.

La dernière conférence de CEERAWEEK, organisée par le lobby pétrolier US sur l’avenir des produits pétroliers, à laquelle a participé une forte délégation du secteur de l’énergie algérien, a confirmé tout ce que nous pensions sur ce sujet. Il faut se rappeler que la COP27 a été un échec du fait du lobby pétrolier mondial.

Si la volonté politique a été affirmée par le président de la République, les faits sont loin de valider cette politique.

On ne peut embellir les résultats des réalisations qui sont bien en deçà de ceux qui seraient nécessaires pour atteindre nos engagements climatiques.

Quels sont les aspects positifs et les limites de la démarche actuelle en matière de développement des énergies renouvelables ?

Nous avons fait le constat que de positif il n’y a que 420 mW de photovoltaïque d’installés avec un rendement de moitié du potentiel annoncé.

Les limites sont claires, le choix des acteurs retenus ne peut crédibiliser une volonté de réaliser 22 000 mW d’énergies renouvelables. L’investissement est important, soit 50 milliards de dollars pour 15 000 mW de projets solaires hybrides (80 % solaire thermique, 20% de photovoltaïque) et leur transport. On s’aperçoit que le mimétisme des idées européennes en matière de mix énergétique a fini par occulter le véritable mix spécifique à notre pays de la vision de nos décideurs.

C’est bien sûr l’hybride mentionné ci-dessus. Alors que les pays disposant un tant soit peu de potentiel thermique se sont engagés dans cette voie. Le coût de l’électricité produite a baissé jusqu’à 7cts$/kWh. Le département à l’énergie US (USDOE) en a fait une priorité et financé le développement de la technologie de stockage de solaire thermique en visant un objectif de 5cts$/kWh à 2030.

Les pays européens sont en train de suivre avec l’orientation vers le solaire thermique (CSP) puisque même les pays du Nord, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, sont engagés dans ce sens. Leur objectif est de décartonner l’industrie. La technologie  a été développée pour les cimenteries, les verreries, les aciéries. Les mesures de tarification aux frontières des produits carbonés, décidées par l’Union européenne, sont l’une des raisons.

C’est cet ensemble de raisons qui fait que notre démarche ne peut être menée que par un acteur crédible issu d’un partenariat public-privé. C’est par exemple NEAL, le seul partenariat qui a réalisé avec succès la centrale hybride solaire thermique de Hassi R’Mel. La crise mondiale est à notre porte, les financements vont être très difficiles. La confiance restera l’élément déterminant.

Cherchant à diversifier son mix énergétique, l’Algérie prévoit d’investir plusieurs milliards de dollars dans la production d’hydrogène vert. Quel commentaire faites-vous à ce sujet ?

J’ai des difficultés à comprendre votre question. Il me semblait que nous n’avions pas les moyens financiers pour seulement satisfaire les besoins du programme d’énergies renouvelables. Toutes les tentatives lancées se sont avérées vaines.

Nous avons noté, par contre, que 30 milliards seront dédiés aux seules énergies fossiles.

Je ne comprends pas comment  allons-nous trouver plusieurs milliards de dollars pour l’hydrogéné. L’objectif pour les Européens étant de faire produire cet hydrogène dans les pays du Maghreb à partir des surcapacités du photovoltaïque pour leurs besoins de chaleur. Il faut se rappeler que l’usage énergétique se décompose en 70% chaleur et 30 % électricité. Alors, on financerait à perte une production électrique qui fournirait l’hydrogène  et tuer ainsi notre exportation gazière, seule source de production de chaleur pour l’Europe.

L’UE est logique avec elle-même en développant une alternative au gaz russe. Mais si la Mauritanie a accepté de laisser l’UE investir plusieurs milliards de dollars pour la production d’hydrogène, cela reste une décision sur papier qui engage des politiciens en fin de course. Je doute fort de la suite de ce projet.

Les dégâts attendus suite à la crise économique, la crise sanitaire, la crise alimentaire, la guerre en Ukraine vont amener des changements importants.

Nous devons bien garder en tête les grands défis qui nous attendent. Notre sécurité énergétique ne peut pas être assurée par le gaz ou le photovoltaïque. Notre sécurité alimentaire va dépendre fortement du solaire thermique pour l’électricité et surtout le dessalement d’eau de mer. Nous ne pouvons pas oublier les besoins pour les énergies fossiles en tant que matières premières pour la pétrochimie, les engrais, etc.

Quelle est votre appréciation de l’industrie locale des composants ou des équipements destinés à la production des énergies renouvelables ?

Il y a lieu d’abord de clarifier le terme énergies renouvelables. Si vous sous-entendez seulement le photovoltaïque, ce serait assez réducteur. Cependant, pour cette technologie seulement, je vous renverrez aux différentes tentatives qui se voulaient de résoudre le problème d’intégration en faisant du projet de 4 000 mW, puis de 1 000 mW, un appel d’offres à la création d’une production nationale d’éléments photovoltaïques. Le résultat est connu.

On s’aperçoit dans la dernière approche des 2 000 mW que ceci a été abandonné. De toutes façons, dans ce domaine, il était illusoire de penser constituer une production nationale pour notre seul marché. L’économie du projet industriel ne pouvait se concrétiser. De là  à envisager l’export, je ne pourrais suivre cela, sachant que même les Occidentaux n’ont pu pas concurrencer la Chine.

Par contre, l’industrie du solaire thermique est à notre portée. L’étude de la GIZ allemande l’a confirmé. Nous pouvons intégrer 75% des équipements du solaire thermique, les intrants sont tous disponibles localement. Il n’y a pas besoin de terres rares ou autres. Il faut savoir que pour le photovoltaïque, nous ne pouvions atteindre que 40% d’intégration.

Quel impact aurait le recours à ces énergies sur l’économie nationale ?

L’impact a fait aussi l’objet d’une étude de la part de la fondation Friedrich Ebert, ayant eu pour thème «L ‘Algérie 100% renouvelables». Le premier objectif serait de réduire le coût de l’électricité telle que produite par la Sonelgaz. Les subventions actuelles avec l’explosion du prix du gaz, même s’il  a atteint que 11,5$/MMBTU pour nous, cela représente près de 20 milliards $/an.

Nous avons expliqué que l’étude de la fondation Friedrich Ebert avait permis de voir que l’on pouvait attendre de la mise en œuvre d’un programme de 14 000 mW seulement en hybride (solaire thermique avec stockage et photovoltaïque) pour nos besoins seulement. Le coût, y compris le transport du sud du pays au Nord, serait de 50 milliards de dollars.

Ce programme, réalisable d’ici à 2033, validerait nos engagements climatiques. Il deviendrait garant du financement prévu dans ce cadre par la COP 27. La réalisation de 14 000 mW pour l’UE leur permettrait d’assurer leur sécurité énergétique à court terme. Nous pourrons concrétiser 40 000 mW toujours en hybrides solaires d’ici à 2053. Au vu de l’évolution des coûts de l’électricité, nous couvrirons ainsi toutes les recettes des hydrocarbures à cette échéance. Nous économiserons 30 milliards de m3/an de gaz  en ramenant Sonelgaz à sa capacité actuelle de 14 000 mW de cycles combinés gaz.

Nous pourrons développer toute la muraille verte agricole dans le sud de Méghaier, à Tamanrasset, et d’Adrar à Illizi.

Ceci grâce au solaire thermique qui fournira l’eau et l’électricité. Le photovoltaïque perd son rendement dans le Grand-Sud.

Nous développerons toutes les industries énergétivores avec des fours solaires dans la région de Hassi R’Mel. La technologie existe déjà. Nous deviendrons ainsi l’atelier de l’Europe.

En matière de production de gaz, l’Algérie ambitionne d’augmenter sa production. Comment l’Europe peut-elle s’impliquer davantage en Algérie pour obtenir plus de gaz ?

L’Europe à court terme veut remplacer les livraisons de gaz russe par d’autres alternatives. Il faut savoir que la Russie livrait 170 milliards de m3/an de gaz.

Il est normal que l’Algérie, au vu de l’évolution du marché et des coûts, ambitionne d’augmenter sa livraison de gaz.

Cependant, ce marché est aléatoire et sur un court terme seulement. C’est pour cela que même les Américains ne misaient pas sur le marché européen. Ils ont privilégié le marché asiatique qui pouvait supporter des prix élevés. Les engagements à moyen terme, après la COP 27 et l’aggravation des problèmes climatiques, ont amené les pays européens à sortir du marché gazier. La guerre en Ukraine les avait poussés aussi à cela. Ceci reste une vision politique. Les politiciens sont de mauvais économistes.

Le pays européens sont condamnés à revenir vers la Russie, comme le recommandait un responsable qatari. Le Qatar est certainement mieux placé que nous pour approvisionner l’Europe en gaz.

C’est en fait ce qui va arriver. La Belgique a fait le premier pas, suivie de l’Autriche et l’Allemagne y sera obligée.

Alors que le seul le gaz de schiste, si son potentiel se transforme en réserves prouvées, pourrait être à moindre capacité une alternative. Un actif prouvé signifie que la production des réserves prouvées est commercialisable sur le marché. Ceci prendra beaucoup de temps et même après cela, la fenêtre du marché sera fermée. Il serait plus prudent de laisser cela pour les générations futures. Le financement du développement du schiste  est déjà très difficile. Le seul pays  à avoir réalisé cela reste les USA. Mais cela s’est avéré négatif.  La principale société dans le schiste, Chesapeake,  a vendu tous ses actifs.

Il me semble que d’autres défis nous attendent, nos moyens financiers limités devraient nous amener à accorder la priorité aux investissements liés à la sécurité défense, la sécurité  énergétique, la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire. L’étude  «Algérie 100% renouvelables» devrait faire l’objet d’un débat sérieux.

Entretien réalisé par Fatiha Amalou

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