Selma Khelif, experte en Approche et transformation constructives des conflits : «les dysfonctionnements relationnels peuvent coûter cher à l’entreprise»

Psychologue thérapeute systémicienne, Selma Khelif est experte certifiée en Approche et Transformation Constructives des Conflits (ATCC), une spécialité qui permet de faire face aux conflits dans les relations personnelles et dans le monde de l’entreprise. Dans cette interview, elle revient sur les avantages de mettre en place des mécanismes de communication afin de transformer les oppositions professionnelles en opportunités de développement personnel et collectif.

Concrètement, qu’est-ce que l’approche et de la transformation constructive desconflits (ATCC)?

L’A.T.C.C. a été élaborée en confrontant les résultats des sciences sociales humanistes à une pratique de plus de 30 ans de formation, d’accompagnement et de conseil de personnes et de groupes ou d’institutions d’origines culturelles différentes. Cette approche est une démarche pour faire face aux conflits, que ce soit dans les relations personnelles ou au sein des organisations.

Elle répond à des besoins concrets.Une rapide prise en compte de la perception des différentes dimensions d’un conflit nécessite d’être attentif à soi-même et de s’autoriser à concevoir que ce conflit peut être un outil de développement. Cette approche conçoit d’abord le conflit comme un système dynamique qui peut ou non être destructeur, qui peut être facteur de régression ou de changement.

C’est pourquoi nous disons qu’il y a une approche « constructive » du conflit, dans laquelle les énergies individuelles et collectives-structurelles et symboliques-culturelles peuvent être canalisées dans un sens constructif, c’est-à-dire qui correspond aux besoins des protagonistes.

Donc il est tout à fait «normal » d’avoir des conflits au sein d’une entreprise ?

Là où il y a de la vie il y a du conflit. Normal oui puisque tant qu’on est vivant on est appelé à rencontrer des conflits. C’est-à-dire que nous sommes en désaccord les uns avec les autres. Existe-t-il des humains qui soient toujours d’accord ensemble ? Non. L’opportunité réelle que nous avons est bien de se donner les moyens d’accueillir le conflit en entreprise comme une opportunité de développement personnel et collectif.

Dans le monde de l’entreprise, à quel type de conflit peut-on être confrontés. Est-ce qu’ils sont plutôt provoqués par les employés ou les employeurs ?

Lorsqu’on évoque la notion de conflit, il peut être réducteur de chercher uniquement qui a provoqué quoi. Même quand il y a transgression, il reste précieux pour une entreprise d’en comprendre la dynamique afin de prévenir la récidive et le risque d’établissement d’un climat d’insécurité.Considérer ainsi le conflit permet de faire évoluer l’entreprise.

La transformation, là en l’occurrence constructive, s’appuie sur le fait de considérer qu’un être humain aura plus d’aisance à apprendre à vivre le conflit comme des leviers de changement constructif s’il est dans un cadre de travail sécurisant avec des règles, des sanctions claires, des procédures claires qui respectent chaque être humain dans sa particularité. Un cadre qui soit inclusif avec une capacité de prendre des décisions afin que chaque membre de l’équipe soit en capacité d’évoluer.

L’élaboration d’un contrat de travail avec des règles claires et mutuellement acceptées peut éviter les conflits ? 

Le contrat ne sert pas à éviter les conflits. D’ailleurs pourquoi éviter les conflits ? Il sert à cadrer les moments où il y aura des conflits. C’est-à-dire qu’il y aura des repères clairs qui permettront à chacune et chacun d’être confrontés à nos responsabilités respectives qui ont été établies dans le contrat, ainsi à éviter les abus.

Quels sont les signaux qui doivent alerter sur l’engagement d’une procédure d’approche et de transformation constructive des conflits ?

Il y a plusieurs possibilités de solliciter un travail d’accompagnement. Il est possible que ce soit une nouvelle équipe qui se met en place lors de la création d’une entreprise. L’objectif étant de vouloir démarrer sur des bases claires et saines avec cette volonté de mettre la relation au centre de la pratique professionnelle, car c’est avec les être humains que l’entreprise réussie. S’il y a cette volonté, il est inutile d’attendre les conflits pour travailler sur ces modalités de communication interpersonnelle, sur un cadre qui soit respectueux de chaque personne et sur les engagements et objectifs de l’entreprise.

Il faut prendre également en compte les modalités de management, d’évaluation, de suivi, d’accompagnement et d’évolution de chacun et chacune dans l’équipe. Tout ceci peut se travailler dans la sérénité, tranquillement au démarrage. Cela peut également se travailler à d’autres moments lorsqu’on constate que des collègues commencent à mal se parler, dans les couloirs ou en réunion, que des réunions sont épuisantes, qu’on a du mal à tenir ses engagements, que les arrêts maladie deviennent récurrents, qu’il y a des départs à répétition … tous ces indices doivent alerter les responsables de cette entité à s’interroger sur ce qui dysfonctionne.

Ils doivent alors voir ce qui doit être mis en place en termes d’encadrement, de recadrage et de définition des responsabilités et de procédures qui permettraient de sécuriser les individus dans une équipe pour qu’ils souhaitent rester, évoluer, et atteindre les objectifs de l’entreprise.

Les conflits ont certainement un coût économique…

Effectivement, les dysfonctionnements relationnels peuvent coûter cher à l’entreprise. Disons que plus nous laissons ces dysfonctionnements relationnels et structurels s’inscrire dans la durée, en pensant parfois à tort que cela va passer, qu’il faut hurler sur un adulte pour lui dire de ne pas parler de la sorte à ses collègues ou alors rire d’un collègue présent ou absent…plus le sentiment d’insécurité grandissant favorisera une sorte de lassitude et de la violence dans les relations.

Fermer les yeux sur ce genre de dysfonctionnements, et considérer que c’est une nouvelle norme, est le gage de difficultés au sein de l’entreprise. Cela aura nécessairement un coût puisque les gens ne resteront pas et qu’ils ne s’engageront pas professionnellement d’une manière efficace. Plus le climat de travail est apaisé et sécurisant, plus les personnes s’engagent, créent, s’impliquent même en temps de crise.

Comment se déroule votre intervention ?

Dès que je suis sollicitée- cela signifie qu’il y a une demande qui a été élaborée- je propose d’avoir un premier entretien pour mieux définir et analyser les besoins particuliers de cette structure à ce moment-là de sa vie. Cela permet de faire une proposition en matière de formation et d’accompagnement adaptée à la réalité de l’évolution et de la volonté des personnes qui ont sollicité cette intervention.

Vous êtes intervenante auprès l’ATCC Institut qui est une association française. Qu’elle est son rôle ?

Je suis membre active au sein de l’Institut de l’approche et de la transformation constructive des conflits dans un cadre bien précis qui est la formation de professionnels afin qu’ils puissent devenir des intervenants, des formateurs et des consultants en ATCC. En même temps, cette structure à l’énorme avantage de considérer que nous-mêmes, intervenantes et intervenants, avons besoin de nous développer de manière régulière, de questionner nos pratiques régulièrement. Nous sommes dans une optique de formation continue, entre nous, selon les compétences des uns et des autres. Nous développons nos compétences ensemble, reconsidérons et réfléchissons aux concepts de l’ATCC qui évoluent au fur et à mesure de nos pratiques auprès des personnes et des structures qui nous sollicitent.

Entretien réalisé par Rabah Nadri

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