Sarah Chouider, DG, JMC Motors Algérie : «JMC a une réelle volonté d’entrer sur le marché algérien en tant que producteur»

Dans cet entretien, la directrice générale (DG) de JMC Motors Algérie, Sarah Chouider, évoque plusieurs sujets liés aussi bien à la vente des véhicules que la marque chinoise va commercialiser dans notre pays qu’à la formation qui garantit un meilleur service après-vente, entre autres. Le dossier du projet industriel du groupe, dont elle a parlé lors de l’annonce du retour officiel de cette marque en Algérie, le 31 janvier dernier, sera bientôt présenté au ministère de l’Industrie et de la Production pharmaceutique.

Comment la marque JMC perçoit-elle le marché automobile en Algérie et quelles sont les attentes pour son retour dans le pays ?

Le marché algérien a été à l’arrêt pendant sept ans. En 2017, il y a eu l’arrêt des importations. Peu d’opérateurs ont continué à exercer parce qu’ils avaient de la production locale, ce qui n’était pas le cas pour JMC malheureusement. Aujourd’hui donc, JMCrevient avec une nouvelle représentation et des attentes simples qui consistent à répondre à la demande des professionnels, puisque JMC est une marque spécialisée à 100% dans les véhicules utilitaires.

Nous sommes donc là pour répondre à cette demande exprimée par les entreprises issues de divers secteurs d’activité, dont je peux citer celles activant dans le bâtiment et les travaux publics (BTP). D’ailleurs, nous comptons participer au prochain salon Batimatec. Nous avons commencé à servir aussi quelques clients dans le secteur de l’agroalimentaire. Parmi notre clientèle-cible, il y a aussi certaines fonctions libérales, les agriculteurs et les petits artisans.

A travers notre gamme de véhicules, composée essentiellement de camions et de pick-up, on pense répondre à cette demande. Il reste encore une clientèle-cible qu’est les transporteurs, on arrive avec le bus pour répondre au mieux à cette catégorie en attendant de recevoir le fourgon à partir du deuxième semestre de l’année 2024.

La demande aujourd’hui se concentre-t-elle beaucoup plus sur le pick-up ou sur le camion ?

Nous avons annoncé officiellement le retour de JMC en Algérie le 31 janvier et le 1er février, nous avons inauguré notre succursale à Alger. Nous avons ouvert les commandes le 4 février et, depuis, nous constatons que la demande exprimée s’oriente davantage vers le camion. Nous sommes pratiquement sur 70% de notre volume vendu sur la catégorie camion, surtout en camion catégorie léger de 3,5 tonnes.

Nous avons aussi de la demande, certes moins forte, sur le camion 3.360 en version lourd, 6 tonnes. Le pick-up arrive en deuxième position et nous avons été agréablement surpris de recevoir, en plus des professionnels, des familles au niveau de notre showroom avec un intérêt pour la version double cabine du pick up, puisque ce type de véhicule peut aussi être utilisé comme un véhicule touristique pour les déplacements personnels vu le confort et l’espace qu’on retrouve à l’intérieur.

A rappeler que le pick-up JMC Vigus a l’avantage d’être le moins cher sur le marché.

Cette demande émane davantage des particuliers ou des entreprises ?

Nous avons reçu plus de commande de la part des entreprises que des particuliers. Il y a aussi les fonctions libérales et les commerçants qui ont exprimé de l’intérêt pour l’acquisition de l’un de nos modèles de véhicules.

Qu’en est-il de l’engouement du client algérien et avez-vous mobilisé toute la logistique nécessaire pour la disponibilité des produits et leur livraison dans les délais impartis par le cahier des charges ?

Au lancement, nous avons annoncé un délai de 120 jours même si nous sommes loin des conditions fixées par l’actuel cahier des charges qui nous oblige à livrer le client dans un délai de 7 jours s’il a payé en totalité son véhicule et dans un délai de 45 jours s’il a déposé un acompte, sauf consentement, et actuellement nos clients signent un consentement sur le délai proposé.  

Nous nous approvisionnons en Chine et nous sommes chanceux d’avoir signé avec un constructeur rapide en termes de production, nous avons d’ailleurs anticipé sur nos commandes. Nous étions partis sur un délai de livraison de 35 jours mais la situation actuelle en mer Rouge a causé un rallongement de ce délai de 15 jours en tenant compte de la logistique déployée pour l’arrivée des véhicules en Algérie, par rapport à leur dédouanement et à leur process jusqu’à leur arrivée dans la succursale ou chez l’agent agréé.

Cela prendra donc un peu plus de temps, mais cela ne va pas être la règle, car une fois que la machine est lancée, ces délais seront fortement réduits. Et je ne pense que ce délai de 120 jours soit choquant puisque depuis une semaine, nous traitons avec des clients qui ne sont ni étonnés ni contrariés par les délais que nous avons annoncé, mais nous continuons à travailler à les réduire au maximum pour les mois à venir.

Pouvez-vous nous fournir des détails sur la stratégie de montée en gamme de la marque JMC et comment cela se traduit dans les nouveaux modèles destinés au marché algérien ?

JMC a plus de 70 ans d’existence et pendant tout ce parcours, la marque a signé deux contrats de partenariat avec deux constructeurs, le japonais Isuzu et l’américain Ford. On compte en Chine plus de 200 marques et un marché intérieur très exigeant. En ce qui concerne JMC, la marque a pu se placer comme leader sur le segment des véhicules commerciaux légers, deuxième sur les pick up et troisième sur les camions légers.

Vu la concurrence, les exigences du marché chinois font que JMC soit monté de fait en gamme. Dès notre première visite de l’usine, nous avons directement opté pour les nouveaux modèles qui disposent à la fois du confort nécessaire à savoir sièges, climatisation, nouvelles technologies, nouveau design, etc., et de la sécurité. Il n’était pas question que nous restons sur les anciens modèles qui avaient plus de dix ans d’existence. En vue des exigences de notre cahier des charges, le constructeur était obligé de fournir plus d’équipements que sur la version originale. Aujourd’hui, la montée en gamme de JMC se confirme à travers les modèles qu’elle a décidé de commercialiser en Algérie.

Le pick-up, avec le modèle Vigus, qui a repris toute la technologie d’Isuzu, en plus d’un autre modèle de pick up qui arrivera dans les prochains mois. Le modèle camion Carrying plus est également fabriqué avec la technologie Isuzu, ainsi que les modèles fourgons avec la technologie de Ford et qui feront leur entrée prochainement. Nos clients vont constater d’eux-mêmes la montée en gamme de nos véhicules avec des matériaux très élevés et des normes de sécurité très exigeantes. Cela permet d’avoir un niveau de finition très élevé.

La marque JMC fabrique aussi des véhicules électriques, ce qui nous a contraints, d’ailleurs, à importer un seul modèle dans la catégorie bus.

En ce qui concerne les prix des véhicules JMC en Algérie, comment la marque compte-t-elle assurer la compétitivité tout en maintenant une qualité élevée ?

Il a été difficile pour nous de fixer les prix parce qu’il n’y a pas réellement une référence sur le marché qui n’a pas vendu de véhicules depuis 2016, sauf pour ceux qui ont continué à travailler parce qu’ils avaient des usines. Car, pendant six ans, le positionnement des prix était conditionné par la rareté des véhicules. Pour fixer nos prix, nous avons déjà commencé à voir ce qui s’offre au client algérien. Nous avons aussi étudié l’arrivée de nos autres concurrents afin de bien nous positionner. Nous avons essayé d’avoir des prix compétitifs qui soient corrects par rapport au produit lui-même. Il s’agit d’assurer un meilleur rapport qualité-prix à nos clients.

Le rallongement des délais d’approvisionnement, à cause de la situation en mer Rouge va-t-il affecter les prix ?

Nous avons longuement hésité avant le lancement officiel à nous engager sur les prix actuels, car nous avons constaté à travers les réseaux sociaux que cette question intéressait les Algériens plus que tout autre chose. Nous avons compris que le marché algérien, aujourd’hui, est celui des prix. Mais il est vrai que le transport est une variable très importante dans la composition du prix.

Nous devrons aussi installer 28 distributeurs à travers le territoire national, comme l’exige le cahier des charges, et pour lesquels, il faut garantir une certaine marge pour qu’ils puissent couvrir les charges en termes de moyens humains et matériels et être conformes à ce cahier des charges et à la charte du constructeur. Même si le prix du transport a presque doublé à cause des tensions au Proche-Orient, nous avons essayé de mieux négocier pour ne pas impacter les prix de vente de nos véhicules.

Quels équipements spécifiques sont proposés dans les nouveaux modèles JMC destinés au marché algérien, et comment ces caractéristiques répondent-elles aux besoins et préférences des consommateurs locaux ?

Les véhicules arrivent avec un niveau d’équipements très élevé, que ce soit sur la partie sécurité ou la partie optionnelle. JMC est une gamme particulière puisqu’elle est destinée aux professionnels, mais les conditions de travail ont beaucoup changé, notamment avec les changements climatiques. Ce qui fait, à mon avis, que cette question soit étudiée par le constructeur qui a conçu un véhicule qui doit rouler dans toutes les conditions, à savoir froid, grandes chaleurs, etc. Nous avons ainsi choisi des modèles qui soient bien équipés, car nous pensons à nos commerçants, à nos artisans et autres professionnels qui se déplacent constamment et partout. 

Quelle est la politique de garantie offerte par JMC pour ses véhicules en Algérie, et comment cette garantie reflète-t-elle la confiance de la marque dans la durabilité et la fiabilité de ses produits ?

Le cahier des charges exige une garantie qui ne doit pas être inférieure à cinq ans, alors qu’en Chine, la garantie est de trois ans. Mais nous avons discuté de ce point avec le constructeur pour ne pas impacter le prix du véhicule. Cela n’a pas posé de problème vu que le constructeur a confiance en ce qu’il produit. Nous avons soulevé quelques remarques qui ont été rapidement prises en charge, comme le cas de la carrosserie des camions qui ont besoin d’un entretien spécifique et sur laquelle nous offrons aussi une garantie.

Nous disposons d’un centre de formation qui nous permettra d’assurer un service après-vente professionnel et de qualité.

Concernant le volet formation, pourriez-vous nous en dire un peu plus. Auriez-vous l’intention d’engager une éventuelle collaboration avec le secteur de la formation professionnelle ?

Notre centre de formation, qui s’appelle TalentAcademy, est installé au niveau de notre succursale. Il compte trois salles de cours et un laboratoire pour les formateurs, géré par la direction qualité et formation. La partie qualité prend en charge tout ce qui est satisfaction du client alors que la partie formation s’occupe de tous les parcours métiers, comme la mécanique, l’électricité auto, la vente.

Avant son recrutement et prise de fonction, le mécanicien suit un parcours qui peut s’étaler sur deux ou trois ans parfois. Même l’employé chargé du conseil-service sera aussi formé. Toutes les populations présentes au service du client doivent suivre un parcours de formation, que ce soit au niveau de la succursale ou du réseau de distribution. Plus tard, TalentAcademy deviendra un centre de formation agréé par l’Etat. Cela nous permettra d’assurer un service de formation pour les autres marques qui le souhaitent, avec des contrats de confidentialité bien évidement.

Il est effectivement prévu de travailler avec le secteur de la formation professionnelle, surtout qu’il existe une grande volonté de l’Etat pour développer l’industrie automobile. Il est, d’ailleurs, question de récupérer des stagiaires de l’Institut de technologie d’entretien électro-mécanique. Nous pourrons même les recruter si des besoins s’expriment à notre niveau. Le partenaire chinois nous accompagne aussi avec du matériel déclassé et des parties de moteurs sur lesquels nos stagiaires pourront être formés.

Etes-vous fixés sur votre futur projet industriel ?

Nous avons un projet industriel qui doit démarrer en 2026. JMC Motors a l’ambition de s’installer en Algérie. Nous sommes en train de prospecter pour l’installation de notre site. Ce sera probablement dans l’ouest du pays où un pôle spécialisé dans l’industrie automobile est en train de se former. Cela facilite le regroupement des sous-traitants, outre le fait qu’il existe des ports à proximité des zones industrielles et des chemins de fer.

J’ignore pour le moment dans quelle ville ce projet sera implanté. En tout cas, JMC a une réelle volonté d’entrer sur le marché algérien en tant que producteur, avec un réseau de sous-traitants, nous visons en premier la fabrication de la pièce de rechange, puis nous irons sur le montage automobile, car cette activité nécessite un taux d’intégration de 40% qu’il faudra atteindre durant les quatre premières années du lancement du projet. Ce dernier a été exposé en Chine et le groupe JMC a accepté de venir s’installer en Algérie, avec pour ambition d’exporter vers les autres pays africains.

Il existe, en effet, des distributeurs dans au moins cinq pays africains qui devraient représenter la marque JMC sur le continent africain. Il s’agit de contrats conclus en 2021 et 2022 et d’un marché qui n’a pas été exploité par le groupe JMC dans le passé, étant donné qu’il était plutôt présent sur le continent sud-américain. Récemment, JMC s’est installé en Arabie saoudite, où d’habitude le marché automobile est dominé par d’autres marques. Cela confirme que JMC a gagné en qualité et en fiabilité.

Avec la situation dans la région du Proche-Orient et un projet d’usine qui n’avance pas en Egypte, l’Algérie offre, de par sa stabilité et sa nouvelle législation qui encourage l’investissement étranger, une véritable opportunité pour les deux parties. Lors de la prochaine visite, nous comptons présenter ce projet au ministère de l’Industrie et voir comment nous pourrons avancer.

Pouvez-vous nous dire un peu plus sur le service après-vente de JMC en Algérie, y compris la disponibilité de la pièce de rechange, les centres de service, c’est-à- dire le réseau, et les mesures prises pour assurer une assistance rapide et efficace aux clients ?

Comme cela a été exigé aussi bien par le cahier des charges que par la marque, un concessionnaire doit avoir un point de vente 3S (showroom, service après-vente et vente de la pièce de rechange…). La pièce de rechange est obligatoire aussi bien pour le concessionnaire que pour le distributeur agréé. Le client est systématiquement informé de l’existence de la pièce de rechange, du service après-vente et de l’existence de la garantie client. Les premières pièces arrivent avec les premiers véhicules, surtout celles à forte rotation, c’est-à-dire tout ce qui est consommable, plaquettes de frein, filtres, amortisseurs, disques de frein notamment.

Bien entendu, il y aura de la pièce mécanique un peu lourde, pour les demi-moteurs, moteurs, boîtes à vitesse, pompes à eau, etc. Durant les premiers mois, nous attendons en retour des clients pour une première vidange. Nous avons donc commencé à travailler sur les forfaits (vidange, révision…). Ceci sans oublier les campagnes prévues pour l’été pour l’entretien de la climatisation, etc., avec une politique d’entretien pour fidéliser nos clients.   

Comment JMC envisage-t-elle de s’impliquer dans le tissu industriel algérien et compte-t-elle intégrer des composants locaux dans la production, contribuant ainsi au développement de l’industrie locale ?

Lors de la conférence de presse que nous avons organisée pour annoncer le retour de notre marque, le PDG de JMC a fait état d’un réseau de plus de 400 sous-traitants de renommée internationale qui opèrent avec le constructeur chinois. Il y a de la possibilité de les intégrer dans le projet pour pouvoir accompagner l’installation de l’usine et même servir les autres marques qui disposent de leurs propres usines en Algérie. Nous avons fait une étude technico-économique à notre niveau. L’intégration des sous-traitants locaux est aussi dans nos projections, car il va falloir aussi faire vivre ceux qui sont ici puis compléter avec les autres. Tout va passer par un cahier des charges évidemment qui leur sera présenté.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le secteur automobile en Algérie ?

Personnellement, je suis très contente de voir qu’il y a une reprise de l’activité automobile en Algérie. J’espère que nous pourrons donner plus de choix pour nos clients et qu’il y aurait de la compétitivité. C’est ça qui ferait, peut-être, baisser les prix. Nous savons bien que le véhicule est plus que nécessaire en Algérie pour les déplacements, que ce soit pour ceux qui résident dans les grandes villes ou dans les zones éloignées. Nous avons aussi besoin de grands véhicules parce que nous sommes de grandes familles.

Entretien réalisé par Lyes Menacer

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