«Mouhous céramique» est aujourd’hui un nom très connu dans le milieu de l’artisanat algérien. Les céramistes d’art le connaissent et le public aussi.
En une décennie, l’entreprise a réussi à se faire un nom parmi les grands céramistes algériens, comme en témoignent les différents prix et trophées et autres distinctions que «Mouhous céramique» est allée chercher de concours en concours, de salon en salon, de foire en foire et d’expositions en expositions, pour se faire une place dans le domaine très exigeant de la céramique d’art. Entre autres trophées, «Mouhous céramique» a remporté en 2019 le premier prix national de la céramique d’art.
Certains de ses produits, primés lors des concours ou commandés par telle ou telle ambassade, ministères et entreprises publiques et privées ainsi que les dernières créations sont exposés dans une boutique-vitrine située dans la capitale, à Kouba, non loin de la mairie de cette commune, où Mouhous céramique a ouvert un magasin pour être proche de sa fidèle clientèle.
La boutique «Mouhous céramique» est tenue par Abdelrezak, le plus jeune des Mouhous, qui nous raconte, non sans une certaine fierté, l’histoire de chaque objet, exposé dans un des grands espaces du local, l’autre étant réservé à d’autres artisans. Un geste solidaire que les Mouhous ont eu envers des artisans de Constantine (dinanderie), Tlemcen (tissage), Tizi Ouzou (bijoux), en quête d’une vitrine dans l’Algérois, trouvant en Abdelrezak le meilleur des ambassadeurs.
Alors que lui s’occupe du magasin, qu’il entretient avec passion, le reste de la fratrie est à l’atelier, à Boudouaou, dans la wilaya de Boumerdès, antre que nous sommes conviés à visiter pour découvrir le savoir-faire des Mouhous, tous autodidactes.
«J’ai créé cette entreprise dans le cadre du dispositif Ansej en 2010. Après m’être acquitté de tous les crédits, j’ai décidé d’agrandir l’atelier pour répondre aux commandes et faire travailler plus de personnes», nous confie Abdelkrim, l’aîné des Mouhous qui est à l’origine de la création de cette petite entreprise devenue familiale, puisqu’il y fait travailler ses frères et cousins.
Dans l’atelier, le silence est de mise, même si l’on perçoit le ronronnement du tour manipulé par Abdelhak, l’autre frère, qui se concentre sur le façonnage du socle d’un abat-jour. «Aujourd’hui, je suis là, demain je pourrai faire de la décoration. En fait, nous sommes polyvalents et nous pouvons intervenir dans chacune des étapes de la création de n’importe quel objet», nous explique-t-il, tenant à préciser que l’artiste de la famille est son aîné, Abdenacer.
Ce dernier, dès la création de l’entreprise «Mouhous céramique» , a quitté un poste confortable chez un opérateur en téléphonie mobile pour tenter l’aventure avec son frère. C’est que le cadet est un artiste qui aime créer des objets et des motifs. Il a, d’ailleurs, histoire de vivre cette passion, travaillé à ses heures perdues dans un atelier de céramique.
«Ma passion c’est la création de motifs pour chaque objet et bibelot, je peux sans me lasser rester des heures à peaufiner un motif, ses couleurs, ses contours, ses contrastes… Cela ne m’empêche pas de faire d’autres tâches. C’est aussi le cas de tous mes frères. En fait, nul n’est indispensable et nous sommes tous nécessaires à l’équipe que nous formons», conclut Abdenacer avec un sourire complice à l’endroit d’un autre de ses frères, Abderrahmane, qui fait la navette entre la remise, le four et l’atelier de décoration.
La matière première, une denrée qui se raréfie
Une ruche, comme se plaît à qualifier l’atelier un client, que nous avons croisé lors de notre passage, venu confirmer sa commande de cadeaux d’entreprise. Abdelkrim y est de moins en moins, préoccupé qu’il est par des problèmes administratifs et sa quête de la matière première en ces temps de pandémie et de restrictions, d’autant que tous les intrants sont importés.
«Nous utilisons de l’argile blanche réfractaire qui vient d’Espagne. La cristalline, les couleurs et la dorure sont aussi importées. Avant, pour la dorure nous nous fournissions chez Agenor, mais elle ne la commercialise plus, ce sont des importateurs particuliers qui le font et le prix est passé du simple au double. En fait, il y a trois importateurs dont deux occasionnels. Nous souhaitons vivement qu’Agenor reprenne la commercialisation de la dorure.»
A la question pourquoi ne pas utiliser de l’argile locale, l’artisan nous explique que la céramique d’art demande un intrant d’une grande qualité et pureté. «Il s’agit d’objets d’art, nous choisissons ce qu’il y a de mieux sur le marché international. La matière doit être noble et pure, même les Espagnols s’approvisionnent parfois au Portugal. L’argile que nous utilisons passe par plusieurs niveaux de traitement.
Une technicité que nous n’avons pas en Algérie, quand bien même nous voudrions utiliser de l’argile locale», explique Abdelkrim, qui tient à rappeler qu’à un moment donné, il a été question «d’un projet pour le traitement de l’argile en vue d’en extirper un produit de qualité, nous en avons plus entendu parler».
L’exportation des objets d’art, une niche
Pour le fondateur de «Mouhous céramique», l’importation de la matière première n’est pas un handicap si l’on met les mécanismes qu’il faut pour l’exportation des objets d’art. «Nous couvrirons et largement la facture d’importation des intrants. Je pense que le ministère du Tourisme et de l’Artisanat devrait mettre en place un canal qui permette aux artisans algériens d’exporter leurs œuvres à l’étranger, notamment les pays du Golfe, qui aiment beaucoup la céramique d’art algérienne. A chaque salon ou foire à l’international, nous sommes sollicités, des commandes sont émises, mais malheureusement, nous ne pouvons pas les accepter», déplore l’artisan, qui précise qu’il est urgent de revoir les dispositions douanières qui régissent l’exportation des produits pour les besoins des salons et foires.
L’Etat doit soutenir l’artisanat national
Voir les représentations diplomatiques algériennes organiser des expositions pour les artisans dans les pays où elles sont en poste est un autre souhait de Mouhous céramique, qui a pris part à de nombreuses manifestations à l’international. L’expérience a laissé un goût amer en ce qui concerne l’organisation des déplacements et de la participation à des évènements économiques.
«Quand nous sommes allés à Washington en 2018, nous pensions que nous allions exposer nos œuvres, car c’est de cela qu’il s’agit, dans des conditions normales, que nous allions mettre en lumière le savoir-faire des céramistes algériens. Nous nous sommes retrouvés à exposer sur les trottoirs, logés dans des chapiteaux exigus, à essayer d’éviter la pluie. C’était une belle déception», nous dira Abdelkrim, qui ajoutera qu’ils n’ont pas pu vendre les objets qu’ils avaient pris avec eux, vu que les Américains ne se servent que des cartes de paiement.
Sarah Chabi
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