Brahim Hadj-Nacer, directeur de l’agence Zyriab Voyages : «Il est temps de se pencher sur le tourisme parallèle»

Ecotourisme, tourisme réceptif et tourisme saharien, régulation de l’activité des agences de voyages et encadrement du métier de guide touristique. Dans cet entretien qu’il a accordé à DZEntreprise, Brahim Hadj-Nacer, expert et directeur de l’agence Zyriab Voyages qu’il dirige depuis 1989, revient sur toutes ces questions qui agitent la sphère du tourisme national, en pleine reprise, avec le retour notamment et en grand nombre des touristes étrangers, notamment pour le désert algérien.

Après la crise sanitaire de la Covid-19, l’activité touristique en général et celle des agences de tourisme et de voyages en particulier ont repris. Comment voyez-vous cette reprise ?

Comme on le sait, la période Covid a plombé toute l’activité puisque nous avons perdu la moitié de nos agences de voyages qui a mis la clé sous le paillasson.  Mais juste après la levée des restrictions sanitaires, l’activité a repris. Et c’est le tourisme local qui en a profité. Il y avait notamment le tourisme balnéaire durant la saison estivale, bien que certains hôteliers n’aient pas joué le jeu.

Ensuite, il y a eu la saison saharienne qui a été l’une des meilleures nous concernant puisque les tour-opérateurs se sont intéressés au Sud algérien. En effet, des groupes de touristes  se sont rendus dans des régions peu visitées auparavant, telles que qu’Adrar qui était une destination touristique peu connue. Après la pandémie, le tourisme saharien a très bien redémarré.

Peut-on connaître le nombre d’agences qui ont fermé durant la période de pandémie Covid-19 ?

Environ 2.000 agences ont fermé sur les 4.500 existantes, en raison de la Covid-19. Certaines ont repris leur activité, mais beaucoup n’ont pas pu le faire. Il s’agit surtout des agences qui venaient de débuter ou d’avoir leur agrément, qui n’arrivaient pas à faire face aux charges, que ce soit les loyers ou les salaires. Le dispositif d’aide mis en place par les autorités était très timide. Pour les gestionnaires des agences, elle était de 30.000 DA l’année et de 10.000 DA pour les salariés.

Vous avez évoqué le tourisme local qui a profité de la période de la crise sanitaire. Qu’en est-il des agences de voyages ?

Pour certaines, il y a eu un effet négatif. Ce que je reproche à mes collègues de certaines agences de voyages, c’est leur manque de professionnalisme qui les a laissé faire du n’importe quoi à la reprise, allant jusqu’à vendre presque à perte ou à mentir aux clients. Les deux choix sont très mauvais pour le client et l’agent de voyage, parce qu’en mentant, il perd son client. Un agent de voyage qui vend ses services avec des marges de 100 DA ne pourra pas payer ses charges.

Cela a été fait pour se faire une place. Ce que je considère comme de la concurrence déloyale. Les effets ne sont pas seulement financiers, puisque la reprise du tourisme local a permis aux agences de voyages de découvrir de nouvelles destinations à travers tout le pays et de les programmer à titre régulier. L’autre effet positif est que désormais, l’Algérien croit de plus en plus au potentiel touristique de son pays.

Il est vrai que je suis parmi ceux qui disent qu’en termes d’infrastructures, nous ne sommes pas aussi forts que cela. Mais nous sommes dans un pays où nous assistons pratiquement chaque jour à l’inauguration de nouvelles unités hôtelières, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de pays, y compris nos voisins où l’activité touristique est très développée.

Là aussi, nos hôteliers ne sont pas professionnels, puisque certains ignorent ce que c’est le real-management et la saisonnalité. A Ghardaïa, à titre d’exemple, en hiver comme en été, les hôtels fixent les mêmes tarifs, ce qui ne se fait plus dans aucun pays au monde.

Les agences de voyages investissent dans le tourisme local après la levée des restrictions de voyages à travers le monde. Quid de la clientèle ?

Dans le tourisme local, au moins 10% des séjours ou sorties ne sont pas le fait des agences de voyages. Face à l’arnaque de certaines agences de voyages, les clients ont appris à organiser eux-mêmes leurs voyages. Ils partent en voiture, seuls en aventuriers ou en groupes à Taghit ou ailleurs et reviennent satisfaits. Toutefois, des agences continuent d’offrir leurs services, mais de manière sporadique, comme c’est le cas durant la période des fêtes de fin d’année ou durant l’été, même si en été, c’est un peu exceptionnel.

Pourquoi exceptionnel ?

Parce que les clients s’adressent directement aux hôtels ou louent des maisons individuelles pour ne pas payer de commission à l’agence de voyages, parce que les hôteliers les accueillent mieux et que certains nous considèrent comme des concurrents, ce qui n’est pas le cas. Mais cela est un autre débat. En été, les Algériens habitant la côte ont appris à louer leurs maisons, ce qui fait qu’entre 80 et 90% de ces locations se font de gré à gré pour éviter tout problème d’impôts et autres frais. Cela fait évidemment partie du tourisme parallèle qui est aussi investi par des jeunes qui organisent des séjours, des circuits touristiques.

Mais ce tourisme parallèle a provoqué un drame cet hiver près de Tikjda. A qui la faute et qui est responsable du tourisme informel ?

Le tourisme informel n’est pas un phénomène  nouveau. Il existe dans tous les pays et pas uniquement en Algérie. Sauf que dans notre pays, il a pris de l’ampleur, notamment avec l’avènement des réseaux sociaux qui ont permis à certains guides, dont les services étaient sollicités auparavant par les agences de voyages, de se mettre à leurs propres comptes sans pour autant payer le moindre centime à l’Etat. De plus, ils font appel à des chauffeurs de bus sans expérience dans le domaine du tourisme. Ceci sans oublier le fait que les clients ignorant souvent leurs droits ne sont pas couverts par une assurance-voyage. C’est ce qui donne lieu à des accidents.

Donc, il y a un travail de sensibilisation et de communication à faire afin d’éviter de nouveaux drames ?

Avant de faire dans la communication et la sensibilisation, il doit y avoir d’abord un travail de régulation. Le ministère du Tourisme doit s’impliquer directement par une véritable loi réglementant l’activité de manière générale. A ma connaissance, des notes de service sont émises par le ministère de tutelle dans ce sens. Mais à mon avis, elles devraient être généralisées au niveau des services de sécurité.

Tout bus touristique qui n’a pas de papiers réglementaires, c’est-à-dire ordre de mission de l’agence, assurance, etc., doit obligatoirement être mobilisé et des sanctions devraient être prononcées contre ceux qui travaillent dans l’informel. Le client reviendra à l’agence de voyages. Cela dit, l’agence de voyages doit aussi être à la hauteur des attentes exprimées. Car, et j’insiste là-dessus et j’assume mes propos, les clients ont perdu confiance en les agences de voyages en raison du comportement de celle-ci.

Il faut le reconnaître, c’est parce que des agences de voyages se sont mal comportées avec les clients que beaucoup ont perdu confiance en nous. Seule la confiance permettra l’existence d’un véritable métier de l’agent de voyage et de tourisme.

Pour rester dans le tourisme local, quels genres de produits proposez-vous à vos clients, puisqu’il y a le tourisme thermal, cultuel, culturel, saharien, balnéaire et de montagne ?

De manière générale, il ne doit pas y avoir de spécialisation, puisque l’agence de voyages doit vendre tous types de produits. L’Algérie est un vaste pays et offre une multitude de possibilités et de choix aux touristes. C’est pour cette raison que j’ai parlé de saisonnalité. De septembre à mars ou avril, c’est le produit saharien qui l’emporte. En été, ce sont les tourismes balnéaire et de montagne qui dominent.

En matière de tourisme culturel, nous sommes deuxièmes en matière de ruines romaines après l’Italie. Lorsqu’un touriste se rend à Batna, Sétif et Constantine, il se perd dans l’Histoire. Ceci est un circuit extraordinaire. Ceci sans parler de Guelma, Souk-Ahras ou Annaba, où il y a de nombreux sites à visiter. Mais certaines agences, surtout régionales, peuvent se spécialiser dans leurs produits locaux, notamment à Tamanrasset, Ghardaïa, Adrar, Djanet, pour ne citer que ces villes à titre d’exemple. En résumé, en tant qu’agences, nous devons être en mesure de proposer une panoplie de produits à notre clientèle.

Qu’en est-il des clients ? Quelles sont leurs préférences ?

C’est le tourisme balnéaire, à partir de juin jusqu’à septembre. Là par contre, nous manquons d’infrastructures d’accueil pour faire face à la demande exprimée. Il y a aussi le problème des hôteliers qui ne jouent pas le jeu. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner que les Algériens préfèrent se rendre chez nos voisins où le produit touristique est de meilleure qualité et à meilleur prix. Le culturel n’est pas très demandé et à notre niveau, nous ne sommes pas nombreux à le proposer. Le tourisme saharien arrive en deuxième position durant tout le reste de l’année. Et il a un peu de culturel.

En parlant du tourisme saharien, certaines agences du nord du pays livrent une concurrence déloyale aux professionnels exerçant dans le sud et qui ont une parfaite connaissance du terrain. Qu’en pensez-vous ?

Les agences activant dans l’extrême sud ont beaucoup souffert et continuent encore de souffrir actuellement. Ce sont d’ailleurs les agences qui ont connu le plus de fermetures durant la période de la pandémie de la Covid-19. Je reviens encore au rôle du ministère de tutelle à qui revient la mission de la régulation.

La délivrance des licences pour l’exerce de notre activité doit être décentralisée et le ministère doit mettre de l’ordre dans tous les métiers relevant de sa responsabilité, à savoir tourisme, hôtellerie, artisanat, etc. Tamanrasset, Djanet, Ghardaïa, ou encore Adrar, Tindouf et Naâma, qui commencent aujourd’hui à se faire connaître, sont des régions sensibles du fait qu’elles soient frontalières avec des pays dont nous connaissons l’instabilité qui y règne.

Il y a aussi le risque de pillage des richesses naturelles. Donc, certaines restrictions sont les bienvenues. Il est aussi du rôle des agences locales de lutter contre ces guides-chauffeurs qui empiètement sur leur terrain et activité.

Pour éviter tout dérapage et encadrer votre activité, ne faudrait-il peut-être pas vous doter d’un organisme de contrôle comme beaucoup d’autres métiers, genre conseil d’éthique et de déontologie ?

Ce rôle est celui des fédérations et des syndicats de métier. Mais j’ignore s’ils ont le pouvoir de sanctions. Mais un client insatisfait ou arnaqué a la possibilité de se plaindre auprès du ministère du Tourisme via ses directions locales. Cela peut entraîner jusqu’à la fermeture de l’agence mise en cause par le client qui doit évidemment présenter des preuves solides de sa plainte.

Les agences de voyages proposent des produits vers l’étranger. Faire l’inverse est-il possible ?

Là, on met le doigt dans un véritable engrenage. 90% des agences de voyages de ne ramènent pas de touristes étrangers. Le tourisme réceptif est un véritable métier qui nécessite des concessions et des promotions. Donc, à la moindre erreur, vous risquez de blacklister votre pays pendant dix ans au minimum. Nous n’avons aucun intérêt à le faire alors que notre pays vient à peine de se rouvrir au tourisme.

Y a-t-il un moyen de nouer des partenariats ? Comment pourrait se faire le choix des agences de voyages et promouvoir davantage la destination Algérie ?

D’abord, ce n’est pas au ministère de faire la promotion de la destination Algérie, mais à l’Office national du tourisme.  Même si l’ONT est un appareil de ce ministère, il doit être autonome. D’ailleurs, je souhaite que le rôle de l’ONT soit redéfini. Il est évident que nous devons investir ce créneau parce que nous sommes totalement absents. Nous sommes le dernier pays du Bassin méditerranéen en matière de rentrées touristiques que ce soit en matière de personnes ou de rentrées en devises.

Et même si nous étions présents dans une dizaine de salons internationaux, notre présence reste timide alors qu’elle doit être agressive. Peut-être qu’il faut arrêter de participer à ces salons et d’opter pour d’autres formes de promotion de la destination Algérie.

S’il y avait une véritable politique de promotion du tourisme, nous aurons des rentrées en devises. Rien qu’avec le circuit des ruines romaines dans l’est du pays, nous pourrions avoir des vols charter quotidiens de touristes italiens. Nous avons un produit qu’est la chasse touristique pour laquelle les gens sont prêts à payer cher. Le tourisme réceptif est l’avenir de notre pays.

Entretien réalisé par Lyès Menacer

(DZentreprise le magazine, juin 2023)

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