Recours à l’importation de viandes : Une décision qui inquiète les éleveurs mais reflète l’état réel d’une filière mal structurée
Annoncée dimanche dernier par le ministère de l’Agriculture et du développement rural et réitérée par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, lors de la réunion du Conseil des ministres de ce mardi, la décision de rouvrir les frontières pour l’importation de viandes, après une fermeture qui a duré près de 4 ans, continue de susciter des réactions, notamment au sein des milieux agricoles, les éleveurs en particulier.
En tout cas, bien que la décision d’autoriser à nouveau la reprise des importations soit motivée par la situation actuelle du marché, où les prix ont atteint des pics inédits, avec le poulet ayant atteint la barre des 600 DA/kg, ou les viandes rouges dont les augmentations ont frôlé les 100% pour certains types, comme les viandes ovines, mais la problématique de la filière viandes dans son ensemble demeure complexe, compte tenu de l’instabilité qui y règne et des fluctuations des prix qui l’affectent épisodiquement, soit en amont (hausses spectaculaires des prix des aliments et autres intrants), ou en aval (prix des viandes qui augmentent et baissent sans aucune raison apparente).
A juste titre, l’on se rappelle du scénario de l’été 2022, lorsque des chargements entiers de poussins ont été jetés en contrebas de plusieurs routes dans les wilayas de Bouira et Boumerdès, car, n’ayant pas trouvé preneurs, les propriétaires de couveuses et producteurs de poussins ont été contraints de les jeter pour limiter des pertes supplémentaires qu’entrainerait leur alimentation. A cette époque, les prix du poulet frais sur le marché ont connu une chute considérable, ayant passé sous la barre des 200DA/kg par endroit.
Durant l’année en cours, à la même période, c’est un scenario inverse, avec une flambée inédite des prix sur le marché et un manque drastique du produit. Avec une telle évolution qui ne reflète aucune règle, il est difficile de tracer le diagramme de la filière.
Pourtant, en se référant aux données sur lesquelles s’appuient les politiques publiques régissant la filière, la situation du marché ne laisse apparaître aucun facteur de déséquilibre. L’an dernier, à titre d’exemple, le Premier ministre indiquait que la production de viandes blanches devait atteindre 5,7 millions de quintaux, avec un objectif de 6,8 millions de quintaux à l’horizon 2025, un volume jugé suffisamment en mesure de couvrir les besoins exprimés en la matière. Mais, une année après, la filière peine toujours à prendre son élan et répondre à la demande, d’où la décision donc de recourir à l’importation.
L’aliment représente 70% des coûts de production
En tout état de cause, cette dernière décision (l’autorisation de l’’importation) est loin de faire l’unanimité, avec notamment une vive réaction des éleveurs qui la rejette, tandis que les opérateurs faisant dans l’importation s’en félicitent.
Ainsi, pour le président de la fédération nationale des importateurs de viandes rouges et leurs dérivés, Sofiane Bahbou, la reprise de l’importation, après une interdiction de près de 4 ans, est une «décision qui est prise en raison de l’absence d’un marché» capable de répondre aux besoins, rappelant que «nous avons prévenus lorsque l’interdiction de l’importation a été décidé, il y a près de 4 ans, que ce choix aura des répercussions sur l’équilibre du marché, parce que, selon les statistiques qui étaient à notre disposition, 70% des besoins étaient couverts par l’importation et 30% par la production locale. Telles sont donc les conséquences de cette interdiction, avec des prix fortement en hausse aujourd’hui, que ce soit les viandes rouges ou blanches».
De son côté, le président de la Fédération nationale des aviculteurs (FNA), Ali Benchaïba, exprimant son rejet de recours à l’importation et appelant à «revoir cette décision», met en garde contre «l’impact négatif qu’elle aura sur la filière et les producteurs locaux».
Au lieu de recourir à l’importation, la Fédération des aviculteurs a formulé une série de mesures à prendre pour organiser la filière locale, maitriser le marché et les prix. La principale mesure proposée dans ce sillage est d’intervenir pour endiguer la hausse des prix des aliments de volailles, atteignant les 10 000 DA/quintal, la suppression de la TVA sur les aliments, car «elle se répercute directement sur le consommateur» tout en insistant sur la nécessité de renforcer les infrastructures de stockage pour viandes blanches.
«Lorsqu’un éleveur subit des pertes une ou deux fois, il arrête la production, car il n’aura plus les moyens financiers qui lui permettent de reprendre son activité », précise-t-il en rappelant les épisodes d’il y a quelques mois lorsque les prix ont connu des baisses considérables sur le marché.
«L’aliment représente 70% des coûts de production, c’est pourquoi nous demandons à ce que l’Etat intervienne pour subventionner cette matière première et, en même temps, constituer des stocks en absorbant le surplus de production sur le marché, parce qu’il arrive souvent que la filière enregistre des excédents de production et, faute de système de régulation qui procède par le stockage des surplus, les prix baissent et les éleveurs enregistrent des pertes. Quelques mois après, la production baisse et les prix augmentent».
Enfin, il faut souligner aussi que l’investissement dans les chambres froides, tant brandi, a toujours été encouragé, comme vient de le réitérer le chef de l’Etat ce mardi lors du dernier Conseil des ministres, et beaucoup d’infrastructures de ce type ont été réalisées ces dernières années. Ne serait-il donc pas utile de se pencher sur leurs capacités de stockage et la finalité de leur exploitation ?
M. Naïli
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