Hocine Benchenine, expert consultant : «Planifier un programme de management énergie et de lutte contre le gaspillage»
Ancien cadre à la Sonelgaz, à distribution énergie, exploitation de réseaux MT/BT et MP/MBP à la direction de distribution de la wilaya de Mascara, Benchenine s’est tourné vers l’analyse et le conseil, en créant son propre bureau d’études et de consulting énergétique en 2018. Il est aussi le fondateur du Séminaire national d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique (SNEE) dont la 6e édition se tiendra le 23 mai 2023.
En décembre 2022, est née l’association EEREA, avec l’objectif de travailler en partenariat avec les collectivités locales, les opérateurs économiques et le monde universitaire. Le spécialiste mène un combat acharné contre le gaspillage énergétique. En effet, ses contributions, nombreuses, portent essentiellement sur l’économie de l’énergie.
Dans le présent entretien, il attire l’attention sur la persistance du gaspillage de l’énergie électrique : 37% pour les résidentiels (sur un ensemble de 11 millions d’abonnés de Sonelgaz), 75% dans l’éclairage public pour les collectivités locales (sur un total de 4 millions de points lumineux du parc éclairage public) et 12% pour ce qui est du tissu industriel.
Et cela n’est pas sans conséquences sur les réserves algériennes de gaz qui risquent de s’amenuiser, au moment où les pouvoirs publics travaillent à augmenter les exportations en gaz et en électricité.
Benchenine rappelle la nécessité pour les consommateurs algériens de faire montre de «sobriété énergétique» et pour les collectivités locales et autres organismes publics de faire appel aux compétences nationales et aux spécialistes pour encadrer et suivre les projets de transition énergétique et ceux de l’éclairage public afin de mettre fin au gaspillage.
Vous êtes pleinement engagé dans la lutte contre le gaspillage énergétique, car vous considérez que l’économie de l’énergie est une priorité absolue pour le pays. Quelles sont, selon vous, les chances de relever ce challenge ?
Le secteur de l’énergie fait fonctionner l’économie d’un pays. L’Algérie dispose de grands atouts et de nombreuses opportunités pour réussir ce challenge énergétique. Grâce à ses potentialités en gaz, l’Algérie est un allié stratégique de l’Europe.
Nous avons aussi l’électricité. Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a évoqué l’alimentation en électricité des pays de la rive sud de la Méditerranée par câble sous-marin. Les capacités algériennes de production d’énergie électrique à base fossile sont de 25 000 mW. En 2022, le pic de consommation énergétique était de 17 000 Wm, plus précisément 16 666 mW. Un pic record enregistré le 31 juillet exactement.
D’où un surplus de 8 000 mW. Avec la crise énergétique actuelle qui sévit en Europe, l’Algérie se pose en alternative. Notre surplus en électricité peut couvrir une partie des besoins du marché européen. Nous pouvons même passer à un surplus de 12 000 mW en périodes creuses mais aussi en diminuant le gaspillage.
Autrement dit, limiter le gaspillage augmentera nos potentialités d’exportation ?
Absolument. L’Algérie fait fonctionner la chaîne énergie grâce à une utilisation locale de ses réserves gazières en méthane, à hauteur de 40%. Une consommation appelée à augmenter au fil des années afin de répondre aux besoins du développement socioéconomique du pays. En même temps, l’énergie fossile s’épuise.
Afin de ralentir ce rythme de consommation et augmenter nos exportations, l’Etat a mis en place le plan de transition énergétique qui s’articule autour de trois axes : économie d’énergie, efficacité énergétique et utilisation des énergies renouvelables. La production de 15 000 mW d’énergies renouvelables à l’horizon 2035 fait partie de ce plan de transition énergétique, qui passe nécessairement par la maîtrise de notre consommation d’électricité.
Le gaspillage est grand. Par des gestes simples, tout consommateur algérien doit s’impliquer directement dans la lutte contre ce phénomène. Il doit participer à l’optimisation de la consommation énergétique. Ce que nous appelons la sobriété énergétique. La société civile a un grand rôle à jouer en la matière. L’objectif final est d’améliorer nos réserves de gaz et, par la même, de réduire les émissions des gaz à effet de serre et protéger l’environnement.
Auriez-vous quelques chiffres qui illustrent l’ampleur du phénomène du gaspillage énergétique ?
Le gaspillage a atteint des taux alarmants : 37% pour les résidentiels, sur un ensemble de 11 millions d’abonnés à la Sonelgaz, 75% pour l’éclairage public chez les collectivités locales sur un total de 4 millions de points lumineux du parc éclairage public et 12% pour ce qui est du tissu industriel.
Les communes consomment 12% de l’électricité disponible au niveau national, soit quelque 6 000 GWh/ an, dont 65% orientés vers l’éclairage public. En 2021, la facture était de 20 milliards de dinars. Si l’on considère que la moyenne du gaspillage est de 50%, cela signifie qu’un milliard de dinars part en fumée chaque année. C’est une grosse perte engendrée par la mauvaise gestion, le manque d’entretien et de maintenance, ainsi que l’absence d’études des projets d’éclairage.
Quels sont les mécanismes pour arrêter l’hémorragie ? Sont-ils suffisants ?
Il y a l’Agence nationale pour la promotion et la rationalisation de l’utilisation de l’énergie qui lance des programmes d’économie d’énergie. A son actif, des actions qui relèvent de l’isolation thermique, à l’exemple du double vitrage lancé en 2022, les parois opaques, murs, planchers, toitures et terrasses. Il y a également l’action de subvention de 3 millions de lampes LED, 9W et 13 W. D’autres actions sont en cours pour ce qui est des systèmes photovoltaïques.
Dans ce cadre, le ministère de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire a installé 1 000 toits solaires dans des écoles primaires, en auto- consommation. Un million de points lumineux du parc éclairage public ont été remplacés par les luminaires LED, ce qui permet de se débarrasser de l’éclairage sodium et mercure qui sont polluants et énergivores.
Qu’en est-il de ce qui a été convenu, il y a quelques années, pour permettre aux citoyens de devenir eux-mêmes des producteurs d’électricité et de la vendre à la Sonelgaz qui l’injectera dans le réseau public ?
C’est la finalité et l’objectif pour réduire et économiser l’énergie fossile qu’est le gaz naturel (méthane CH4) mais nous n’en sommes pas là. Le ministère de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire a initié une opération d’installation de 1 000 toits solaires dans les écoles primaires. Il y avait aussi une instruction pour doter les toits des administrations de kits photovoltaïques, mais toujours en autoconsommation (Off Grid). L’injection du surplus d’énergie sur le réseau public de Sonelgaz est confrontée à une contrainte d’ordre règlementaire. Les lois sur le Gride Code MT BT, c’est-à-dire injection sur réseaux, ne sont pas encore promulguées.
Le ministère de l’Energie et l’opérateur public Sonelgaz se sont lancés dans une stratégie de préparation d’un plan énergie solaire. Nous avons déjà une expérience avec 23 centrales solaires. 500 mW sont installés dans des localités du sud du pays.
Vous êtes le fondateur du Séminaire national d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique. Qu’est-il ressorti des cinq éditions organisées jusqu’à présent ?
Nous avons soumis des recommandations aux deux ministères de l’Energie et de l’Intérieur. Elles portent sur les cahiers des charges, les marchés publics, la gestion à automatique et à distance du parc éclairage public, avec extinction partielle entre 00h et 06 h. A citer également les guides et les documents techniques de mise en œuvre des projets solaires et d’éclairage public, l’accréditation des bureaux d’études et experts de profil électrique et l’audit énergétique de l’éclairage public. Nous avons proposé la création de conseils de wilaya de l’énergie. Le prochain SNEE aura lieu le 23 mai 2023.
Où en êtes-vous avec l’intégration des micro-entreprises et des start up ?
Nous sommes toujours en contact avec les jeunes universitaires de la spécialité. Chaque fois que nous sommes sollicités, nous les accompagnons.
Dans le cadre de la promotion de l’encadrement de ces jeunes diplômés, nous avons créé, en décembre 2022, une association de wilaya, portant le nom Econmics Energy and Renewable Energy Association (Economie d’énergie et énergies renouvelables). En ce moment, nous sommes sur un projet que nous comptons présenter aux deux départements ministériels et à l’université en février 2023, devant permettre la création de 1 000 emplois.
Et les experts dans tout cela ?
Justement, il faut du diagnostic et de l’expertise. Les experts dans le domaine et les bureaux d’études spécialisés travaillent en respectant les normes liées à l’usage de l’électricité, à savoir la 17- 200, la 13-200 et 15-100. Des règles importantes qui subordonnent les opérations étude, suivi et expertise de tous les réseaux d’éclairage. C’est le concept réglementaire qu’applique le groupe Sonelgaz dans la gestion de ses réseaux.
Là, vous me donnez l’occasion de lancer un appel au ministère de l’Intérieur d’impliquer les experts énergétiques locaux pour pouvoir dresser un état des lieux du parc éclairage public afin de planifier un programme de management énergie et de lutte contre le gaspillage.
J’en profite également pour demander que des instructions soient données aux communes, aux OPGI, aux DUAC, DLEP et DAL de recourir aux compétences locales et nationales, ainsi qu’aux services des bureaux d’études spécialisés d’encadrer et de suivre les projets de transition énergétique et ceux de l’éclairage public afin d’arrêter le gaspillage de l’argent public.
Entretien réalisé par Karima Mokrani (DZEntreprise numéro 57)
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