Said Boukhelifa : «Seul un plan Marshall pourra sauver le tourisme»
Président du SNAT et de la Fédération des opérateurs en tourisme, agences, hôteliers, restaurateurs et guides professionnels, mais aussi membre de la Confédération des industriels et producteurs algériens, Saïd Boukhelifa, décrypte dans cette interview l’état du secteur du tourisme en Algérie. Plaidant pour un plan Marshall pour sa relance, il estime que la volonté politique est nécessaire afin d’accompagner les professionnels et redorer le blason à la destination Algérie. Ceci à travers une communication plus offensive et une budgétisation des plans d’action à la hauteur des attentes des professionnels et des touristes, tant nationaux qu’étrangers.
L’Algérie participe régulièrement à des salons à l’étranger est ce suffisant pour booster la destination Algérie, 2022 sera t’elle une bonne année pour le pays ?
Non, pour rappel, l’ONT participe, bon an mal an, depuis la dernière décennie, à tous les salons. Depuis 2015, son budget a été divisé par cinq. Juste de quoi survivre et prendre part à quelques salons. L’ONT est endetté auprès de certains opérateurs de tourisme, faute de budget conséquent et en adéquation avec son programme promotionnel qui se veut ambitieux. L’année de la destination Algérie remonte à 1990. Non l’année 2022 ne sera pas celle de l’Algérie, ni celle des pays développés, très en avance sur nous. Et pour cause, les répercussions de la pandémie mondiale du coronavirus. On parle au mieux de la reprise en 2023 des flux touristiques d’avant-2019, soit 1,400 milliard de touristes.
L’Etat vise la relance du tourisme conformément aux orientations et recommandations du plan spécial destination Algérie. Qu’en pensez-vous ?
Le plan de relance de la destination Algérie 2022-2024 adopté par le gouvernement n’est ni précis ni structuré, et encore moins budgétisé. Avec quelle vision et quelle stratégie ? Je n’ai eu de cesse de dénoncer le budget lilliputien, voire ridicule attribué au ministère du Tourisme, qui se bat seul. Il n’y a aucune intersectorialité, alors que c’est un secteur transversal qui touche une quinzaine de secteurs qui sont aux antipodes de l’importante participation qui est attendue d’eux. Certains ne croient pas aux potentialités touristiques du pays et d’autres manquent de culture touristique. Le Premier ministre essaye d’appliquer les directives du président Tebboune. Mais il y a des résistances dans leur mise en application. Le petit ministère du Tourisme n’y peut rien. Petit par son faible budget et le manque de considération qu’on lui accorde depuis 35 ans, excepté entre (2007-2010). Par conséquent, je demeure pessimiste.
Le tourisme est sérieusement impacté par la crise sanitaire. Pourriez-vous nous dresser un état des lieux ?
L’impact de la pandémie est surprenant. Aucun pays n’y était préparé, et par conséquent, il n’y avait pas de riposte adéquate. Au niveau mondial, selon l’Organisation mondiale du tourisme, il y a eu une perte de 1.000 milliards de dollars en 2020 suite à la chute brutale des flux touristiques enregistrés en 2019. Aéroports et frontières terrestres étaient fermés.
Ce sont plus de 119 milliards de dollars de pertes pour les 290 compagnies aériennes affiliées à l’IATA, l’organisation internationale de l’aviation civile. Air Algérie a enregistré plus de 50 milliards de dinars de pertes. Et depuis une année, elle n’arrive pas à rembourser ses clients et agences de voyages pour les billets achetés et vendus mais non utilisés suite à la fermeture des frontières et de l’espace commercial aérien.
En Algérie, près de 2 000 agences de voyages sur 4 000 ont mis la clef sous le paillasson, causant la mise au chômage de 15.000 personnes. Chaque agence nourrissant deux ou trois familles. Quant aux hôteliers, notamment les nouveaux, c’est aussi une tragédie économique car ils sont déficitaires et croulent sous les dettes bancaires.
Oran, qui était une ville en sous capacités litières, manque d’hôtels de 2000 à 2015, se trouve en surcapacités en 2022. Trop d’investisseurs hôteliers encouragés dans le cadre des Jeux méditerranéens 2021-2022 prévus à Oran. Beaucoup qui ne sont pas du métier, cherchent à vendre pour rembourser leur emprunt bancaire. Le secteur hôtelier a perdu 50.000 emplois.
Comment ce secteur pourrait redécoller après près de deux ans d’arrêt des activités des agences de voyages et des activités annexes ?
Seul un plan Marshall pourrait relancer le secteur touristique, notamment les agences de voyages et les hôtels, dont le taux d’occupation ne dépasse pas les 20%. Certains tournent autour de 5%, alors qu’il faudrait un taux de 40% pour éviter le déficit et 60% pour engranger des bénéfices. Les agences de voyages aussi méritent une assistance financière, car elles créent de la richesse, des emplois et font voyager des nationaux à l’étranger et dans le pays. La courbe du chômage ayant été alimentée par les 62 000 nouveaux chômeurs, provoquant une baisse du pouvoir d’achat et par corollaire une baisse de la consommation nationale. Celle-ci bloquant ou ralentissant la croissance économique.
La destination du Grand-Sud est au cœur de vos récentes activités. Peut-on savoir de quoi s’agit-il ?
En effet, à travers le Syndicat national des agences de tourisme, agréé en juin 2021, l’ancien SNAV n’étant plus reconnue par le ministère du Travail, nous avons installé des délégations régionales à Tamanrasset pour le Hoggar, à Djanet pour le Tassili et à Timimoun pour la Saoura Sud-Ouest. Et bientôt, une délégation pour le Sud-Est. L’avenir de la destination Algérie est dans le tourisme saharien.
Pour les tours opérateurs en Occident, notre pays est une destination saharienne. Et nos expéditions dans le Hoggar, dans le Tassili, et dans le Sud-Ouest sont des produits haut de gamme. Car la plus-value est fournie par dame nature, d’une beauté exceptionnelle, et par le professionnalisme des agences du Sud. Et nous tenons à souligner que depuis que le syndicalisme en tourisme existe (1990), le SNAT est le premier à s’organiser de la sorte, tissant une toile à travers le territoire national.
Il y aura aussi d’ici à la fin mars 2022, l’installation des délégations régionales Est, Ouest et Centre. Ainsi, ce sera une décentralisation du SNAT. Chaque délégation qui maîtrise bien la problématique touristique dans sa région pourra proposer des solutions adéquates. Nous serons ainsi à leur écoute. L’époque où tout partait d’Alger est révolue. Par ailleurs, le ministre du Tourisme nous avait demandé une réflexion profonde sur le comment de la relance de la destination Algérie, tourisme domestique et tourisme réceptif international.
Le SNAT lui a remis une étude de 16 pages, complétée par une seconde de 9 pages. Par la suite, il nous a envoyé l’avant-projet de loi pour avis, amélioration et/ou correction. Nous l’avons fait, car nous avons apprécié que le SNAT soit associé à cette démarche. Une première. Le ministère du Tourisme devrait songer à reprendre le Schéma directeur d’aménagement touristique élaboré en 2007-2008 pour l’horizon 2008-2030.
Un immense document de 376 pages, réparti en 5 fascicules. Une véritable boussole pour nous et notre destination, car on naviguait à vue entre 1981 et 2007. Du reste, il faudrait le faire adopter par une loi, puis des textes d’application et enfin le budgétiser. Il est hélas délaissé par manque de conviction et de compétences au niveau local. Le tourisme étant territorial, ce sont les régions qui le prennent en charge et qui le développent.
Le tourisme fait partie des secteurs qui pourraient contribuer fortement aux côtés de l’agriculture et des start-ups à la diversification de notre économie. Qu’en pensez-vous ?
En effet, l’agriculture, notamment saharienne, le tourisme, les start-ups et l’économie de la connaissance sont des alternatives aux hydrocarbures. L’Algérie aux immenses potentialités demeure une destination terra incognito, méconnue par manque de visibilité et lisibilité à l’étranger, et ce, faute d’une communication institutionnelle de qualité, en raison d’un faible budget promotionnel. Nous n’avons pas reçu plus 500 000 touristes depuis 1970 dans le cadre du tour-operating, via les agences de voyages et les tours opérateurs. Moins d’un demi-million.
Ce qui fait de l’Algérie une destination semi-vierge par rapport à nos voisins qui représentent des produits saturés depuis plus de 50 ans. Alors seule une volonté politique, convaincante, factuelle et exprimée par des faits concrets pourrait relancer une fois pour toutes et dans la durée notre destination. Ceci nécessite un développement crescendo sur 20 ans, le temps d’introduire une pédagogie touristique à l’école, ouvrir plusieurs instituts de formation en tourisme, former des formateurs, créer un marché de compétences en tourisme et hôtellerie.
Tous les nouveaux hôtels urbains et balnéaires ouverts ces dix dernières années n’ont pas trouvé de personnel qualifié sur le marché. Ce qui se répercute négativement sur le service. C’est cela l’économie de la connaissance qui repose sur la richesse humaine, bien formée et interactive avec d’autres compétences. L’homme doit être au centre des préoccupations des décideurs.
Interview réalisée par : Yanis Aït Lamara (In DZEntreprise revue)
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