Omar Berkouk : «Les crises bancaires ne se ressemblent pas mais ont toujours les mêmes origines»
Dans cet entretien, l’expert financier Berkouk s’exprime sur la crise bancaire de ces derniers jours, comme la banque californienne SVB aux Etats-Unis, et son impact sur la situation financière mondiale, soutient que les crises bancaires ont toujours la mêmes origines.
Inconnue du grand public, la banque californienne SVB, 16e banque américaine par la taille des actifs (209 milliards de dollars fin 2022), spécialisée dans le financement des entreprises de la tech, a fait faillite. Faut-il craindre une contagion ?
La Sillicon Valley Bank (SVB) n’était pas inconnue pour le secteur stratégique mondial de la technologie et des start-up, dont elle assurait la gestion des levées de fonds et des opérations bancaires nécessaires au fonctionnement de ces entreprises et de leurs salaries. Ainsi, des sociétés en Amérique, en Europe, au RU, en Inde et en Chine dépendaient d’elle.
Sa taille inférieure à 250 MDS USD ne la qualifiait pas à la surveillance des régulateurs US et à l’observation des règles de Bâle III non appliquées aux USA. Considérée comme banque non systémique, elle a pu commettre les erreurs fatales de gestion d’une banque : l’hyper-spécialisation sectorielle, c’est-à-dire l’exposition à un seul secteur d’activité et une gestion actif-passif ALM inadéquate dans un contexte de remontée des taux d’intérêt.
L’incapacité de la Banque SVB à réaliser une levée de fonds de 2 MDS USD pour faire face au retrait de ses clients a provoqué une fuite des dépôts et des clients, accentuant le constat de non-liquidité de son bilan.
Les autorités monétaires et financières US ont mieux réagi que lors de la crise des subprimes de 2008 qui a vu la chute de Lehman Brothers et sa déflagration mondiale. En décidant de garantir les dépôts bancaires sans limitation de montant (Trésor) et de mise à disposition de ligne de refinancement (FED), elles ont, semble-t-il, circonscrit l’incendie.
Cependant, la crise de la SVB n’est qu’un symptôme d’une «maladie» de la sphère financière qui s’est hypertrophiée depuis 2008 favorisée par des taux d’intérêts bas et une liquidité très abondante permis par des politiques monétaires accommodantes des banques centrales se fondant sur la croyance d’une disparition de l’inflation.
Celle-ci de retour depuis 2021 avec des taux inconnus depuis les années 80 ( +10%) les a obligées à augmenter les taux d’intérêts à une rapidité historique et à retirer des liquidités du marché monétaire
La SVB n’est que la première «victime» de ce changement des conditions monétaires et financières mondiales. Des banques régionales, dont l’activité est plutôt diversifiée aux USA, sont sous pression pour les mêmes raisons.
En Europe, la première banque à chuter est le Crédit Suisse, fusionné de «force» avec UBS par les autorités helvétiques.
Bien que la règlementation et la régulation soient plus rigoureuses en Europe, le changement des conditions d’accès au crédit en taux et en quantité décidées par les banquiers centraux vont montrer la fragilité de certains acteurs majeurs de la finance (banque d’investissement, private equity, hedge fund, crypto, immobilier).
La prochaine «victime» systémique pourrait être la Deutchebank.
Ce ne sont pas les banques qui se contaminent entre elles, elles sont toutes touchées en même temps par le changement des conditions de refinancement. Nous allons seulement voir celles qui étaient plus ou moins bien gérées. Celles qui avaient pris des risques excessifs. «Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés…» Jean de La Fontaine
Certains spécialistes craignent de revivre le même scénario de la crise bancaire et financière en 2008 et annoncent d’autres crises bancaires, d’autres rassurent que cela ne peut se reproduire sachant que les banques ont pris leurs précautions depuis. Dans quel camp vous vous situez ?
Les crises bancaires et financières ne se ressemblent pas, mais elles ont toujours les mêmes origines, à savoir la spéculation excessive, alimentée par des conditions faciles d’accès au crédit. Les sous-jacents changent de la tulipe à la technologie, en passant par l’immobilier et aujourd’hui par les crypto- actifs.
Ceux qui ont permis la constitution de bulles spéculatives sont ceux qui provoquent les crises bancaires en les faisant éclater.
Ces responsables ont également les remèdes pour stopper ces crises en revenant à la politique monétaire ex ante qui fera le lit de la prochaine crise.
A chaque nouvelle crise bancaire et financière, on découvre une nouvelle ingénierie mise en place par l’industrie financière et bancaire qui a échappé à la vigilance des régulateurs (shadow banking, private equity …), mais favorisée par la politique monétaire accommodante.
Ce n’est pas l’expansion de la crise bancaire et financière qu’il faut craindre, mais la généralisation et la persistance de l’inflation et/ou la récession économique.
Tous les pays redoutent l’impact de cette crise sur leur situation financière. Pour le cas de l’Algérie, la situation financière est dans le vert en annonçant un excédent de plus de 11 milliards USD de la balance des paiements. Quelle lecture faites-vous de la situation financière de l’Algérie ?
Comme cela a été dit maintes fois, la situation économique et financière de l’Algérie est étroitement dépendante de la production et du niveau de prix des hydrocarbures. L’amélioration des termes de l’échange et de la balance des paiements est due essentiellement à la hausse des prix des hydrocarbures, à une réduction drastique des importations et dans une moindre mesure, à une amélioration de la production hors hydrocarbures.
Le chemin de la diversification économique est encore long, bien que l’on constate une volonté et un souhait de faire. L’économie algérienne, au-delà de l’amélioration du niveau des réserves de change, reste fragile.
La récession mondiale qui suivra inévitablement le chaos financier aura des conséquences sur la situation économique en Algérie. La nouvelle Algérie tarde à venir.
L’Algérie a manifesté de l’intérêt pour les BRICS. Est-ce une bonne ou une mauvaise idée ?
C’est très tendance de détester l’ordre mondial imposé par l’Occident et de lui chercher un substitut. Cette détestation commune n’est pas suffisante pour créer des organisations alternatives à l’hégémonie du dollar, au G7, au FMI, à la BM et l’OMC. A Wall Street, à la City Bank.
Les BRICS, acronyme inventé par un analyste de Goldman Sachs, toujours Wall street, était un concept avant de s’incarner dans une banque de Shangaï. Les pays qui le composent n’avaient pas choisi à l’origine d’en être.
Aujourd’hui, les membres historiques de ce
«club» veulent l’animer et l’élargir à d’autres membres qui qualifient aux conditions d’éligibilité, à savoir croissance supérieure à 5%.
Si l’Algérie réunit les conditions d’adhésion, rejoindre ce «club» n’apporterait rien de plus qu’une visibilité politique internationale. Elle ne participera pas à la mise à mort du dollar.
Cette devise dominera encore pour longtemps les échanges et les flux de capitaux mondiaux.
A moins que la Chine décide de faire du yuan une monnaie de substitution au dollar, mais il n’est pas dans l’intérêt de son économie de le faire.
L’Algérie prévoit des bureaux de change pour contrer le marché noir des devises. Quel commentaire faites-vous à ce sujet ?
Le sujet des bureaux de change en Algérie est le serpent de mer de l’économie algérienne. Tant que la devise DZD n’est pas librement convertible, ces bureaux de change sont inutiles. Les points de change officiels existent déjà dans les banques et les grands hôtels pour les touristes. Leur activité principale est de vendre des DZD aux touristes et accessoirement les leur racheter. Les Algériens qui veulent de la devise étrangère pour leurs besoins s’approvisionneront sur le seul marché des changes ou est coté véritablement le DZD : Port Saïd.
Je suis pour tout projet de loi de modernisation de la sphère monétaire et financière du pays. L’état actuel du marché bancaire et financier algérien ne correspond pas aux ambitions de l’Algérie nouvelle.
Il retarde sa transformation et son développement. Sans industrie bancaire ingénieuse, efficace et un marché financier dynamique, la lutte contre l’informel sera vaine, le financement de l’économie incertain et aléatoire.
Entretien réalisé par Fatiha Amalou
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