FMI, G20, ONU avec son Conseil de sécurité et ses différentes organisations, autant d’institutions et d’organes où sont prises des décisions sur le fonctionnement et l’avenir des nations, tant économique, social, politique que géostratégique. Sous domination d’une poignée de pays, dits puissances mondiales, notamment occidentaux, l’Afrique n’a pas voix au chapitre au sein de ces instances incarnant la gouvernance mondiale.
Pourtant, composé de 54 Etats, soit 27%, plus d’un quart de l’ensemble des pays qui constituent l’Organisation des Nations unies, avec plus de un milliard d’habitants et tout en étant l’un des moteurs de l’économie mondiale, dont il est le principal fournisseur de matières premières, le continent africain a logiquement droit d’être associé aux décisions à dimension mondiale et dont il subit souvent les conséquences.
Comme le souligne le sociologue sénégalais Kaly Niang dans son ouvrage «l’Afrique à l’heure de la gouvernance mondiale, problématique et enjeux», «la crise mondiale actuelle commande que l’Afrique ait voix au chapitre, pour donner au moins sa vision d’une crise qui l’affecte aussi.
Elle ne doit pas avoir à supporter des réformes qui viendraient à être prises à son détriment». Mais dans un système mondial où la logique des équilibres régionaux a cédé place à celle de la puissance politico-économique, l’Afrique s’est toujours trouvée à la marge de ces sphères décisionnelles.
Cet état de fait sort tellement du cadre du rationnel que Kaly Niang s’interroge, lui aussi : «Au nom de quel principe ce continent doit-il être exclu du grand débat planétaire ? Est-il si dépourvu de matières grises, au point où il ne peut pas apporter sa part de lumière au long tunnel économico-financier dans lequel est plongé en ce moment le monde ? Ou est-il tout simplement victime de l’image qu’il a toujours renvoyée au reste du monde : un continent si empêtré dans la pauvreté que ce genre de débat n’est pas pour l’Afrique une priorité ?»
Alors qu’il est mis à l’écart au sein de ces instances, le continent africain a souvent été le premier à être impacté par les rapports de force qui se jouent à l’échelle planétaire. Ceci a été démontré l’an dernier, avec la crise alimentaire entraînée par le déclenchement de la guerre en Ukraine, qui, d’ailleurs, est loin d’être un conflit russo-ukrainien, mais une guerre entre deux blocs géopolitiques replongeant le monde dans le même climat de tension de l’ère de la guerre froide.
Bien qu’ils aient évité toute prise de position avec l’un ou l’autre des belligérants, les pays africains ont été les premiers à être affectés par la baisse de l’offre sur le marché mondial des céréales, suivie d’une hausse spectaculaire des cours, la pénurie des engrais et autres intrants agricoles, ayant découlé de ce conflit.
Le continent face à un désastre dont il n’est pas responsable
Décrivant l’impact de cette guerre sur le continent, Angela Lusigi du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) souligne : «L’impact le plus visible de la guerre en Ukraine sur l’Afrique est la hausse des prix du carburant et des denrées alimentaires, l’inflation et l’instabilité financière. Les plus pauvres sont les plus durement touchés, car une grande partie de leurs dépenses de consommation est consacrée à la nourriture et aux transports.»
Les effets des changements climatiques illustrent aussi cette forte exposition du continent africain aux conséquences des mutations qui s’opèrent dans le monde sans qu’ils soient associés à ce qui s’y décide. En effet, même si elle ne contribue que d’une manière marginale à l’émission des gaz à effet de serre, moins de 4%, l’Afrique en subit les conséquences, avec la multiplication du phénomène des hausses des températures, sécheresse, inondations récurrentes avec leurs effets d’érosion et d’affaissement des sols.
«S’agissant de la sécheresse extrême, l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud sont les régions les plus exposées», indique la chargée des questions climatiques auprès de l’Agence française de développement (AFD), Marie-Noëlle Woillez.
Tout en étant une victime collatérale d’une situation désastreuse dont les pays industrialisés sont les premiers responsables, le continent africain n’est presque pas écouté lorsqu’il demande réparation. C’est le cas lors de la dernière conférence des Nations unies sur le climat, COP 27, en 2022 en Egypte, où les revendications des délégations africaines pour «sauver le continent» ont été reléguées au second plan, dont la demande formulée pour le doublement des financements pour l’adaptation des économies africaines au nouveau contexte climatique qui n’a même pas figuré dans les résolutions finales de la conférence.
Toutefois, si cette situation faite de marginalisation et d’exclusion a prévalu des décennies durant, le continent africain affiche ces dernières années sa détermination à aller vers une redistribution des cartes au sein des instances internationales.
Le G20 et puis après ?
A la fin du mois d’avril dernier, lors des réunions du printemps du FMI, pas moins de 45 ministres africains des Finances, de la Planification et du Développement économique se sont distingués en montant au créneau pour appeler à la réforme du système de fonctionnement de cette institution issue des accords de Bretton Woods, notamment le système des DTS (Droits de tirage spéciaux) qui, dans sa conception actuelle, ne favorise pas les pays en développement, essentiellement ceux du continent africain, tout en appelant aussi l’institution internationale à «assurer la disponibilité des prêts, améliorer leurs conditions et remédier aux déséquilibres systémiques».
Du côté des pays qui se sont érigés en maîtres du système de gouvernance mondiale, une prise de conscience quant à cette sorte d’injustice à l’égard du continent africain commence à prendre forme.
Après les Etats-Unis, le Japon, c’est l’Allemagne, par la voix du chancelier Olaf Scholz, d’annoncer, au début du mois de mai dernier, son soutien pour l’octroi d’un siège permanent à l’Union africaine au sein du G20, le groupe des 20 économies les plus puissantes au monde, afin que, déclare-t-il, «l’UA puisse contribuer à la prise de décisions».
Après le G20, l’Afrique parviendra-t-elle à intégrer les autres centres décisionnels où se conçoit l’ordre politico-économique mondial ?
Mohamed Naïli
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