[dropcap]D[/dropcap]ans l’entretien qu’il a bien voulu accorder à DZEntreprise, Abdenour Nouiri, dont la thèse de doctorat a porté sur «La planification des supermarchés en Algérie jusqu’en 1984 et la définition d’un nouveau mode de distribution», soutient qu’il est urgent de règlementer l’implantation des grandes surfaces dans le cadre d’une loi sur l’urbanisme commercial, de créer des bases logistiques régionales, de moderniser les circuits de distribution, et suggère que les superèttes se regroupent en coopératives pour une meilleure maîtrise des coûts et appelle à confier la formation du personnel aux professionnels.
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M. Abdennour Nouiri est docteur en sciences économiques diplômé de l’Université de Montpellier où il a soutenu une thèse sur les supermarchés en Algérie.
Il est professeur à Hec Alger (ex-INC) depuis 1986 et y dirige le laboratoire Marketic (marketing et TIC), tout en supervisant l’équipe de recherche «sport, tourisme et environnement».
Il est aussi directeur de recherche de thèses de doctorat et auteur de plusieurs articles sur la grande distribution.
Consultant en entreprise, il a occupé le poste de sous-directeur des investissements au sein du ministère du Commerce. [/author]
[highlight color=”DZE”] Vous faites un travail de recherche sur la grande distribution. Qu’est-ce qui a motivé votre démarche ? [/highlight]
J’ai occupé les fonctions de sous-directeur des investissements au sein du ministère du Commerce après avoir obtenu ma licence en sciences économiques à l’Université d’Alger.
Je devais superviser avec mon équipe plus de 400 projets des différentes entreprises sous tutelle de ce ministère, comme l’Onaco, l’Ofla, l’ENC, la Sncotec ou la SNNGA.
Cette dernière avait pour but de gérer les magasins type Monoprix ou le Bon Marché, hérités de l’époque coloniale.
L’Etat m’avait chargé, en outre, d’initier un programme d’implantation de supermarchés de 1 000 m2 (niveau de la commune), 2 000 m2 (niveau de la daïra) et 3 000 m2 (niveau de la wilaya).
Mes études (spécialité planification et développement) ainsi que mon travail au sein du ministère m’ont amené tout naturellement à m’intéresser à ce que l’on n’appelait pas encore chez nous la grande distribution.
Désireux d’approfondir mes connaissances, j’ai suivi à l’Université de Montpellier un DESS en économiste de projets et suite à l’obtention de ce diplôme, j’ai soutenu dans la même université une thèse de doctorat portant sur «La planification des supermarchés en Algérie jusqu’en 1984 et la définition d’un nouveau mode de distribution».
Pour faire court, je préconisais dans ma thèse, la mise en place d’un réseau de supérettes de quartier sous forme de gestion coopérative parallèlement aux supermarchés étatiques.
J’ai par la suite rejoint l’Institut national de commerce (aujourd’hui HEC Alger) et j’y ai enseigné des matières proches de mon activité de recherche tout en la poursuivant par des encadrements de mémoires et de thèses, des conférences et la publication d’articles dans le domaine de la grande distribution.
J’ai dirigé un groupe de recherche sur cette spécialité (publication en partenariat avec Numidis des «Annales de la distribution en Algérie») qui a donné naissance à la création du laboratoire Marketic que je dirige également.
[highlight color=”DZE”] La grande distribution peut-elle être une alternative à l’informel ? [/highlight]
La réponse à cette question est complexe. Même le système traditionnel (épicier de quartier) peut être une alternative au marché de l’informel.
Disons que la grande distribution dans ses différentes acceptions peut, en effet, être une réponse adéquate à ce fléau.
Le mot peut vous paraître fort mais ce marché est pernicieux et comme on dit que «la mauvaise monnaie chasse la bonne», ce marché informel est en passe d’étouffer tout développement commercial dans notre pays.
L’une de ses conséquences les plus néfastes, c’est qu’il ne permet pas la modernisation des circuits de distribution.
Il suffit de présenter des marchandises (à l’origine et à la qualité douteuses) sur des trottoirs pour les écouler à des prix défiant toute concurrence.
[highlight color=”DZE”] Quel impact doit avoir la GD sur les prix ? [/highlight]
Les prix se fixent par le libre jeu de l’offre et de la demande.
Seulement quand vous rationalisez vos circuits en les réduisant par exemple, en créant des bases logistiques régionales, vous influez sur les coûts de revient et donc vous êtes à même, si vous êtes une grande enseigne possédant plusieurs hypermarchés, supermarchés et supérettes, d’impacter à la baisse les prix de vente des produits.
C’est sur ce registre que se livrent une concurrence féroce les enseignes de la grande distribution de par le monde.
En France, pays que nous connaissons bien (à travers notamment la télévision par satellite), des chaînes comme Auchan, Leclerc, Système U ou Carrefour font une pression parfois à la limite du tolérable sur les producteurs pour amener les prix à la baisse.
[highlight color=”DZE”] Et sur la qualité du produit ? [/highlight]
Il va de soi que lorsque l’on parle de modernisation des circuits de la distribution, on entend par là et en tout premier lieu, la préservation de la qualité des produits.
La grande distribution met en place la chaîne du froid (et très souvent elle la rend obligatoire au niveau des producteurs), ce qui assure le consommateur de toujours avoir à sa disposition des produits indemnes de toute rupture de la chaîne de froid.
Ce n’est pas le cas pour le marché informel.
Je vous engage à aller mener une enquête sur les trottoirs du quartier de Belcourt (au niveau de Lâaqiba) et vous verrez que des commerçants sortent en fin d’aprèsmidi une myriade de produits laitiers (fromages, yaourts, crèmes dessert) vendus à même le sol.
Ces produits qui approchent de leur date de péremption sont bradés au vu et au su des autorités locales, pourtant garantes de l’hygiène sur leur territoire.
[highlight color=”DZE”] Quel impact peut-elle avoir en amont sur l’organisation de la production nationale ? [/highlight]
Ils seront d’au moins deux sortes. Tout d’abord, à travers les contrats passés avec la grande distribution, ce sera l’assurance pour les producteurs nationaux de pouvoir planifier les niveaux de production et d’avoir des rentrées d’argent régulières.
Cependant, la grande distribution va les obliger à vendre avec facture et surtout les contraindra à revoir leur marge.
Elle peut contribuer à l’amélioration de la qualité des produits locaux si une bonne entente est créée entre distributeurs et producteurs avec un bon retour de l’information du marché vers le producteur.
[highlight color=”DZE”] L’absence de plate-forme logistique est souvent mise en avant par les opérateurs économiques, Cette défaillance a-t-elle vraiment une incidence sur le développement de la GD ? [/highlight]
C’est la pierre angulaire de la grande distribution.
Cette base logistique permet des achats en grande quantité pour une enseigne donnée et leur répartition en temps donné dans les différents magasins de cette enseigne.
Regardez ce que font actuellement les supérettes, elles s’approvisionnent là où elles le peuvent et souvent de manière très aléatoire d’où des coûts excessifs et des ruptures de stock fréquentes.
Il est primordial que ces supérettes se regroupent sous différentes dénominations pour avoir la maîtrise des coûts.
Dans le cas contraire, elles seront appelées à disparaître car elles ne pourront concurrencer les futures chaînes qui s’implanteront en Algérie.
[highlight color=”DZE”] La traçabilité est l’une des conditions pour que les produits soient vendus dans les grandes surfaces. Pensez-vous que tous les producteurs, surtout les petites entités, ont les moyens de satisfaire cette exigence ? [/highlight]
Bien sûr que non ! La grande distribution va mettre de l’ordre dans la traçabilité, et ce sera un gain énorme pour le consommateur algérien et partant pour les services de contrôle de l’Etat (hygiène, fisc, etc.).
Vous allez me dire que deviendront les producteurs qui ne s’adapteront pas ?
Ils continueront à vivoter en s’appuyant sur leur propre circuit de distribution et alimenteront de manière très localisée les commerces traditionnels.
[highlight color=”DZE”] Comme pour tous les autres secteurs, les grands distributeurs se plaignent du manque de personnel qualifié, pensez-vous qu’il faille aller vers la formation et la professionnalisation des métiers de la GD [/highlight]
L’INC quand il était sous tutelle du ministère du Commerce était très proche des opérateurs nationaux et avait déjà offert des formations spécialisées aux cadres de la SNNGA.
Aujourd’hui un groupe comme Cevital et sa filiale Numidis sont obligés de faire appel à un cabinet étranger pour donner ce plus qui manque aux diplômés de l’Université algérienne.
Cevital envisage même de les former lui-même, ce qui, avouons-le, est un non-sens.
On ne peut envisager d’être compétent dans tous les domaines d’activité et l’adage à chacun son métier et les vaches seront bien gardées prend ici tout son sens.
Au niveau de l’HEC Alger, nous avons ouvert une spécialité dédiée à la grande distribution et à la supply chain.
De plus, nous organisons régulièrement des rencontres sur ce sujet.
La dernière en date l’a été au début de cette année universitaire à Alger en collaboration avec le ministère du Commerce et elle a porté sur la grande distribution et le commerce informel.
Dans le cadre du CNEPRU, nous avons une équipe d’enseignants qui planchent sur la gestion des supérettes dans le Grand-Alger.
[highlight color=”DZE”] Quel type de partenariat devrait lier les opérateurs économiques et la GD ? [/highlight]
Dans un premier temps, la grande distribution permettra d’écouler de grandes quantités de produits, mais pour ce faire, faudrait-il encore que ces mêmes produits soient référencés, ce qui n’est pas une mince affaire.
Ensuite, les magasins peuvent mettre en avant certains produits pour leur permettre une plus grande visibilité et donc plus de chance d’être achetés, et ceci entre dans le cadre de la politique de merchandising du magasin.
Tant pour le référencement que pour le merchandising, le producteur devra passer à la caisse.
Parfois, les distributeurs deviennent actionnaires des producteurs tellement ils ont du pouvoir sur eux.
N’oublions pas que le distributeur peut avoir intérêt à proposer sur ses rayonnages des produits sans marque dits «premiers prix» ou produits en marque de distributeur qui seront vendus bien moins cher que les produits des marques connues.
Pour ce faire, usines et magasins vont passer des accords de production.
En tout état de cause, dans ce domaine, c’est en forgeant que l’on devient forgeron et chacun va apprendre à connaître l’autre au fur et à mesure que se dérouleront ces expériences de partenariat.
[highlight color=”DZE”] Enfin, la GD est-elle une menace pour les petits commerces ? [/highlight]
Oui et non ! Oui car dans certains quartiers (zone de chalandise d’un hypermarché par exemple), les petits commerces auront du mal à soutenir la concurrence.
Par contre, certains petits commerces vont se spécialiser dans des domaines non couverts par le grand magasin et seront donc complémentaires et profiteront de l’attractivité du magasin en libre service.
C’est le cas des galeries marchandes des hypermarchés (cordonniers, fleuristes, dégraissage, pharmacies, bijoutiers, vente de vêtements de mode, etc).
En tout état de cause, l’Etat doit règlementer l’implantation des grandes surfaces, et ce, dans le cadre d’une loi sur l’urbanisme commercial qui manque terriblement en Algérie.
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