Yacine Ould Moussa : « Les réformes structurelles nous ferons passer d’un système parasitaire à un système productif»
La crise économique que subit l’Algérie n’est pas seulement le résultat de la baisse constatée dans le prix des hydrocarbures, c’est en tout cas ce qu’affirme Yacine Ould Moussa, spécialiste des questions politiques et économiques, pour qui, les origines du problème sont plus anciennes et bien enracinées dans les années.
Tous les dysfonctionnements de notre économie sont le résultat du modèle de développement et du modèle de croissance qui consomment des grandes ressources sans pour autant créer de la richesse et de la valeur. Dans cet entretien, notre interlocuteur insiste sur le fait que le modèle économique Algérien est dépassé par le temps, qu’il consomme beaucoup de ressources sans pour autant permettre un développement durable et autonome. Sans des réformes structurelles, structurantes, pour organiser et réguler l’économie, assure t-il, nos chances de passer d’un système parasitaire à un système productif sont presque nulles.
Il est convaincu que de profondes réformes politiques, la décentralisation, la participation des citoyens sont autant de chantiers à ouvrir, animer et conduire de façon planifiée et organisée.
DZ Entreprise : quelle est l’origine du malaise que connaît l’économie Algérienne, dans son incapacité à produire des richesses et un développement durable ?
Yacine Ould moussa : En ce qui concerne la crise économique actuelle, il faut rappeler qu’elle est structurelle et ancienne. C’est une crise systémique qui dure depuis bien longtemps. La règle observée c’est qu’il existe une corrélation directe entre les prix du baril et le niveau, l’intensité ou le rythme des réformes. C’est-à-dire, à chaque fois que le prix du baril se relève, les réformes s’affaissent, disparaissent et sont reportées aux calendes grecques.
A chaque augmentation, nous pensons avoir une chance de redéployer notre économie, la réorganiser et la mettre sur un modèle beaucoup plus autonome et indépendant des recettes des hydrocarbures. Or, il se trouve qu’à chaque fois, la tentation de dépenser et non pas d’investir, est supérieure à la tentation de construire dans le durable le moyen et le long terme.
Que s’est t-il passé au juste ?
Depuis 2014, à une période où nous avions des réserves de changes importantes, il me semble que nous avons plus tergiversé et essayé à la marge, le fonctionnement et l’organisation de l’économie et donc, de notre capacité à produire, de la valeur, de l’emploi et la stabilité sociale et politique. Nous n’avons pas pris la mesure du phénomène jusqu’au moment où les ressources pétrolières et les réserves de change se sont dégradées en cinq ans.
Sans un inventaire précis et rigoureux des réalisations ou des projets non réalisés, et sans la volonté affichée, concertée et collective de sortir d’un modèle dépassé, il ne sera pas possible d’identifier et construire les éléments préalables à la préparation de l’avenir des générations actuelles et futures. Le système politique marqué par une forte immunité, voire d’autisme et de cécité affectant la gestion des ressources nationales, l’organisation de l’économie et le fonctionnement de la société.
La crise a des racines anciennes et des maux multiples que les prix du baril, conjugués à la commande publique et les importations, la consommation n’ont fait qu’aggraver. Avec comme point d’orgue les troubles politiques et institutionnelles de l’année 2019. Sans oublier la pandémie du Coronavirus pour l’année en cours.
Pourquoi notre économie est t –elle si fragile ?
En réalité notre pays est prisonnier des politiques de court terme. Il faut reconnaître que notre modèle économique est depuis très longtemps dépassé. Il est connu sous le nom du syndrome Hollandais, ce qui signifie qu’un pays dispose d’une ressource énergétique ou minérale et, la consomme de façon presqu’improductive. Sans pouvoir construire une économie autocentrée, autonome, liée à son marché, répondant aux besoins de sa société et surtout intégrée dans la division internationale du travail et aux marchés mondiaux pour lesquels le pays présente des avantages comparatifs et compétitifs importants qui le rendent éligible à une intégration que les économistes appellent les chaînes de valeurs internationales.
Pour une économie essentiellement basée sur les recettes des hydrocarbures, avons-nous géré d’une manière rationnelle les périodes fastes où le prix du baril permettait des ressources financières importantes ?
Je rappelle que notre économie a toujours été rythmée par les chocs et les contrechocs pétroliers. Les chocs pétroliers c’est quand les prix augmentent, un contrechoc est caractérisé par une baisse des prix. Le 24 février 1971, l’Algérie avait pris la décision de nationaliser les hydrocarbures. C’est à dire l’acquisition d’au moins 51% des intérêts des sociétés concessionnaires françaises qui opéraient dans le sud du pays et qui avaient refusé d’augmenter la contribution au trésor. En 1973, le prix du baril qui était à 2,10 dollars, passe à 10 dollars. Une augmentation obtenue grâce à la solidarité des grands producteurs de pétrole dont l’Iran, l’Irak et l’Arabie Saoudite, qui avaient fait un embargo qui a permis de revaloriser le prix du baril.
Un deuxième choc pétrolier se produit en décembre 1980 où les prix sont passés de 10 à 40 dollars le baril, ce qui était énorme. Il faut savoir que le pétrole Algérien tout comme celui du Nigeria et la Libye, coûtent plus chers en raison d’une prime de proximité et de « qualité » de 05 dollars. Malgré les recettes importantes générées par cette hausse significative, la politique économique de cette époque, axée sur la restructuration des entreprises, n’a pas donné ses fruits car, l’affectation des ressources est restée sous l’autorité politique et n’a pas permis aux gestionnaires de développer les activités des entreprises. En 1986, encore un contrechoc qui dévoile la vulnérabilité de l’économie Algérienne malgré les recettes engrangées pendant des années.
Dans quelle mesure, les réformes dictées par le Fonds monétaire international en 1990, ont elle impacté l’économie Algérienne ?
Durant les années 90, un autre contrechoc nous a obligés de recourir au Fonds Monétaire international qui a exigé un plan d’ajustement structurel avec pour obligation principale d’ouvrir le commerce extérieur, donc les importations et de lever le monopole étatique sur un certain nombre d’activités, sans pour autant construire à ce jour, une économie de marché productive, compétitive, valorisant les ressources locales et notamment humaines, naturelles et financières.
Même le rebond du prix du pétrole qui a eu lieu, seize années après, c’est à dire en 2001 n’a pas été à ce jour exploité, pour traiter le problème de fond de l’économie nationale à savoir, un changement radical du modèle de croissance et modèle de développement. Le premier concerne l’ingénierie de valorisation des ressources locales en vue d’augmenter l’offre nationale de biens et services, connu sous le vocable de PIB.
C’est-à-dire la somme des valeurs ajoutées produites par les opérateurs nationaux ou étrangers à l’intérieur du territoire. Le modèle de développement lui, concerne l’ingénierie des fruits de la croissance et de l’organisation de la société ayant pour but d’atteindre les objectifs d’équilibre politique, social et culturel. C’est-à-dire, la liberté d’expression, la culture, l’éducation, la santé, le logement et le bien être.
A partir de 2001, les prix du baril remontent progressivement, l’économie Algérienne a-t-elle profité de cette aubaine ?
C’est vrai qu’il y a eu une hausse du prix à partir des hydrocarbures à partir de 2001 mais également une hausse des dépenses publiques et une hausse de l’intervention du secteur privé dans les activités de services et une baisse du secteur public productif et dans l’emploi. Malheureusement, le modèle Algérien est resté prisonnier à la fois de la dépendance aux hydrocarbures amplifiée par la voracité des groupes d’intérêt locaux et internationaux, qui ont perpétué le modèle sans contrepartie pour un développement durable et centré sur les ressources nationales.
Il faut reconnaître que les pouvoirs publics ont pris des mesures de sauvegarde concernant la préservation de l’emploi, la préservation des entreprises publiques et privées, le maintien d’un minimum de protection sociale afin de lutter contre la précarité d’autant que cette dernière a été amplifiée par la paralysie induite par la pandémie du Covid-19 en cette année 2020.
Par ailleurs, il a été constaté des zones d’ombres qui sont la preuve magistrale de l’ineptie de nombre de lois et textes réglementaires, comme elles sont la preuve flagrante de déviations, par manque de contrôle et d’évaluation des résultats performants et, enfin de choix inappropriés, et de profils sans aucun rapport avec la nature des responsabilités confiés.
Lors de la conférence sur la relance pour une économie nouvelle, l’accent a été mis sur le développement industriel à travers plusieurs secteurs notamment l’industrie manufacturière, le commerce extérieur, développement agricole entre autres. Pensez –vous que ces choix sont judicieux ?
Il est vrai que des objectifs incontournables à atteindre ont été affichés par les pouvoirs publics, dont certains sont déjà mis en œuvre. Les secteurs à développer ont été évoqués lors de la conférence mais, les modalités pour réaliser la mise en valeur des secteurs retenus, des choix stratégiques prioritaires, n’ont pas été à ce jour affichées, connues et débattues.
Si les objectifs paraissent pertinents, les processus pour les atteindre ne sont pas encore mis en place notamment les réformes de fonds. Comme le financement de l’investissement, l’accès libre des Algériens à l’investissement afin d’étendre les opportunités et les compétences en mesure de créer de la richesse ; la réforme de la fiscalité vers plus de justice et d’équité ; aller vers plus de décentralisation dans tous les domaines de la vie institutionnelle et économique afin que les zones d’ombres deviennent des zones de lumière ; procéder à une refonte budgétaire, monétaire et mettre en place des politiques de régulation des prix, des marchés et du commerce extérieur ; faciliter l’accès à la commande publique pour privilégier la création de la valeur locale et accélérer l’inclusion sociale. La numérisation, le développement des services, des technologies nouvelles ; des énergies renouvelables, des biotechnologies sont des éléments fondamentaux du développement durable, conjuguant économie et écologie, entreprise et environnement.
Quelles sont les priorités à votre avis ?
A court terme, il s’agit de sauver le tissu productif et l’emploi par des mesures techniques, fiscales, comme le report d’intérêt et les paiements différés des charges mais, il faudra bien aller vers un changement radical de modèle de croissance et de modèle de développement économique. Cela suppose au préalable un certain nombre de conditions à commencer par établir un bilan sans complaisance des résultats obtenus et une évaluation d’un éco système consommant des ressources et incapable de créer des richesses et une relative autonomie.
Ensuite, il faut choisir, à travers un consensus, les axes stratégiques de notre développement. A commencer par identifier les secteurs et branches prioritaires, pour y investir les ressources financières nécessaires et former la ressource humaine. Les secteurs choisis doivent répondre aux besoins croissants de la société. A ce niveau, la difficulté sera égale de trouver l’équilibre entre les secteurs à forte capacité de création d’emplois et les secteurs à forte intensité capitalistiques ou technologique.
Il faut aussi concevoir des réformes structurelles ou structurantes touchant l’organisation et la régulation de l’économie nationale. C’est-à-dire, passer d’un écosystème parasitaire à un écosystème productif utilisant les ressources humaines, naturelles, financières et matérielles de notre pays.
Il faut à l’avenir éviter de reproduire une situation de forte concentration du capital et marchés publics, des crédits bancaires, du foncier agricole et industriel aux mains d’une minorité souvent parasitaire et prédatrice de ressources du pays.
La finance islamique est officiellement lancée dans des banques publiques depuis le mois d’août. Cela permettra t-il une meilleur mobilisation de l’épargne, et quel est le plus qu’elle apporte à l’économie nationale ?
La finance islamique n’est pas nouvelle puisqu’elle existe depuis 30 ans en Algérie avec deux banques bien connues, il s’agit d’un financement non inflationniste qui ne crée pas de monnaies nouvelles, donc pas de demandes solvables traditionnelles que le marché ne peut pas satisfaire. Elle utilise la monnaie existant sur le marché, cette monnaie constitue l’épargne des citoyens qui lorsqu’ils veulent acheter, ou réaliser un projet sans subir, pour des raisons personnelles, spirituelles ou religieuses, ce qu’on appelle l’intérêt, ont recours à une institution qui applique le financement islamique.
Le principe de ce financement se rapproche plus d’un partenariat commercial que d’un financement classique. Le projet reste la propriété de la banque islamique jusqu’au paiement, par le client qu’il soit particulier ou entreprise, de la dernière échéance. Pour accéder à ce financement, il faut montrer son engagement mesuré par le paiement d’un apport personnel, quelle que soit la formule choisie.
Jusqu’à présent, et à ma connaissances, les financements islamiques concernent les activités de cycle court comme les services à savoir, cafétéria, restauration, station d’essence et différents commerces. Pour le moment ce financement n’est pas encore présent dans les investissements lourds et les activités de cycle long, où le temps de remboursement dépasse cinq ans.
La finance islamique n’est pas destinée au blanchiment d’argent ou à l’amnistie fiscale, c’est un financement utilisant un argent qui est le fruit de l’épargne. Tout financement est adjoint à la volonté d’investir et la confiance en l’avenir et la certitude d’avoir des profits. Le mode de financement n’a aucun impact sur cette décision.
Entretien réalisé par Khadidja Mohamed Bouziane
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