« Ma reconversion professionnelle et assez atypique », nous confie d’emblée Samia Merzouk, une céramiste passionnée qui a « trouvé » son métier par hasard et que nous avons rencontrée en octobre dernier dans son atelier à Alger.
Un endroit très chaleureux baptisé “Soupçon d’Art” où les objets en céramique réalisés par Samia Merzouk, élève de feu Ouiza Bacha, trônent en attendant leur acquéreur.
Céramiste ! Ce métier n’est pas la vocation première de notre hôte qui avec sa sœur Rachida nous accueillent pour parler de son art, son métier et sa passion.
« Ma reconversion professionnelle est assez atypique, j’ai suivi une formation d’esthéticienne maquilleuse en France dans les années 1980 et dès mon retour à Alger, j’ai commencé à travailler dans ce domaine.
Bien que ce métier soit manuel, et que le travail manuel est une passion, je ne me sentais pas épanouie.
Certes, j’aimais ce que je faisais surtout le maquillage car à la base, je voulais devenir maquilleuse de spectacle, mais au bout de 9 ans je me suis lassée.
Je décide alors d’arrêter sans pour autant savoir ce que j’allais faire ».
Après une année au chômage, Samia Merzouk ne sait toujours pas ce qu’elle aimerait faire. Un jour par le biais d’une amie elle apprend qu’un atelier de céramique cherchait une décoratrice.
Le job ne lui dit rien, mais sa curiosité la conduit à répondre à cette annonce et aller visiter cet atelier a El-Achour dont la propriétaire n’était autre que la céramiste potière feu Ouiza Bacha.
« Coup de hasard ou coup de chance, j’ai atterri dans l’atelier de l’une des plus talentueuses céramistes de ce pays, à l’époque elle était déjà partie en France, l’atelier était confié à sa sœur et son fils Ali qu’elle a initié à la céramique.
Ce dernier m’a fait visiter l’atelier et je suis tombé littéralement sous le charme de cet endroit, tantôt étranger, tantôt familier.
Je n avais alors qu’une hâte commencer ce métier », raconte Samia Marzouk qui y travaillera de 1995 à 2002. Sept années durant lesquelles elle a appris toutes les techniques de la céramique, de la préparation de la terre à la décoration.
La stagiaire est devenue artisane confirmée et se sent prête à monter son propre atelier.
L’artisanat, la dernière roue du carrosse
«Je me suis très vite rendue compte que l’artisanat est la dernière roue du carrosse dans notre pays.
Je me suis renseignée sur les différentes aides, les dispositifs et prêts dont je pouvais éventuellement bénéficier pour monter mon entreprise artisanale.
Pour le financement de cette petite affaire je pensais pouvoir bénéficier du dispositif de l’ANSEJ. Mon âge a été un critère bloquant.
Il me restait l’ANGEM, mais le montant du prêt ne me permettait même pas l’achat d’un four » se souvient Samia Marzouk qui fera face à plus d’une situation décourageante.
Heureusement, la famille qui croit en son talent est là. Le projet est porté à bras le corps par tous. D’abord par son père qui lui propose d’occuper le garage de la demeure familiale est d’en faire un atelier.
L’espace est petit, mais suffisant pour démarrer. Il lui achète un four d’occasion qu’il paye à l’époque 200 000 DA. Avec l’aide de sa sœur Rachida beausariste spécialisée en communication visuelle et son beau- frère Karim Sergoua artiste peintre plasticien, l’équipe est constituée et l’atelier de céramique commence sa production. Restait à ce faire une place dans un secteur particulièrement « maitrisé » : le monde de la céramique !
“Soupçon d’Art” tente l’aventure dans un monde « verrouillé » et crée ses propres valeurs.
« Dans notre atelier toute la chaîne de création se fait à la main, nous n’utilisons pas de moule seulement le tour, notre objectif est que chaque pièce soit exclusive, souvent lorsqu’on commence à réaliser un objet on ne sait pas à quoi il va ressembler…. »
Chaque objet à un itinéraire, parfois même une histoire au grand bonheur des amoureux de la céramique qui repartent souvent avec des pièces uniques. Et même si le fait d’opter pour « l’exclusivité »ne fait pas vivre, Samia Merzouk s’accroche.
« La réalisation de pièce unique n’est peut être pas assez rentable comparé au travail de série, mais c’est un principe de base auquel nos clients tiennent. Mais il ya parfois des exceptions, comme la fois où nous avons réalisé pour une entreprise spécialisée dans les parfums et arômes alimentaires une série de cinquante horloges identiques, ce fut très pénible car nous étions tentés d’apporter de nouvelles choses, mais il fallait respecter l’exigence du client. »
Et si l’équipe de « Soupçon d’Art » trouve du plaisir à donner vie et forme à des objets, très prisés par ailleurs, reste que faire tourner une entreprise n’est vraiment pas chose très aisée
Tout est importé, même l’argile !
Le matériel, le four notamment, est inabordable ; « quand on a commencé, le petit four nous suffisait car notre clientèle était principalement constituée d’acheteurs directs, mais aujourd’hui, les commandes sont plus fréquentes et parfois la taille des pièces demandées dépasse celle de notre four ou encore les délais sont courts, ce qui nous contraint à ne pas les prendre de crainte de ne pas respecter les délais.
Nous avons songé à nous équiper d’un nouveau four d’une plus grande capacité, malheureusement son prix dépasse les 400 000 DA et ce n’est même pas le chiffre d’affaires de notre petit atelier…. »
Et là où le bat blesse dans un métier artisanal, c’est que tout est importé, l’argile et les émaux (peinture de couleur).
« Si l’argile algérienne est de bonne qualité et très solide, elle reste inexploitée, ce qui oblige les artisans à avoir recours à l’importation. Si l’argile algérienne était bien traitée, nous aurions eu un avantage sur la qualité et surtout sur le prix car il faut savoir que le kg d’argile importé est de 48 DA, mais si cette matière première était fabriquée localement le kg couterait entre 10 et 15 DA », fait remarquer l’artisane qui précise que pour les émaux, les prix augmentent d’année en année. A titre d’exemple, la couverte qui est l’émail transparent qui sert à finir le travail était cédée à 5 000 DA le sac de 25 kg, aujourd’hui il est à 14 000 DA.
Mais ce qui désole le plus notre artiste, c’est le fait de rester tributaire des importateurs et des matières premières qu’ils ramènent
« Nous n’avons pas le choix de la matière car ils importent ce que la majorité demande », relève Samia Marzouk qui comme toutes les entreprises algériennes fait face aux tracasseries administratives et fiscales.
Finalement, la carte d’artisan qu’elle détient n’offre pas autant d’avantages qu’elle devrait.
« Le seul avantage concret est celui contenu dans la LF 2010, et qui dit que tout artisan qui prend des apprentis ne paye qu’un forfait de 5000 DA d’impôt par an. Cette loi nous a enlevé une grosse épine du pied, avant qu’elle ne soit appliquée, ils m’avaient imposé 60 000 DA sur un chiffre d’affaires estimé à 500 000 DA que je n’atteints toujours pas, une enquête a été ouverte et des inspecteurs ont relevé les conditions dans lesquelles je travaillais, mais cela n’avais rien changé. »
« Des entreprises fidèles nous sollicitent pour les cadeaux de fin d’année »
En dépit de tout , “Soupçon d’Art” , aujourd’hui une marque prisée, notamment grâce aux différentes manifestations et foires, a réussi à se faire connaitre dans le monde de l’entreprise.
« Des entreprises fidèles nous sollicitent pour les cadeaux de fin d’année, mais le plus rentable pour nous est de travailler avec des boutiques. Ce qui nous permet avant tout une visibilité, une expérience que nous avons déjà tenté avec des boutiques comme Edenarc à Hydra et Art en liberté à Kouba et en ce moment on réalise une série d’objest pour une boutique qui ouvrira bientôt. »
Pour rappel, impliquée dans ce qu’elle fait, Samia est membre fondatrice de l’association Anissa culture action «mémoire» qui a été créée après la mort tragique de Anissa Asselah épouse du défunt Ahmed Asselah, directeur de l’Ecole des Beaux- Arts assassinés avec son fils le 15 mars 1994.
L’objectif de cette association est de rendre hommage à cette famille en promouvant l’Art en organisant des spectacles, des performances, des rencontres, des conférences…Reste que cette association attend toujours son agrément.
« Soupçon d’ART » : soup_art@yahoo.fr
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