Abdallah Seriai :«L’Etat n’est pas tenu de subventionner les marchandises à l’exportation »
Abdallah Seriai, président de la commission transport au FCE considère que l’on peut définir la logistique comme étant la gestion efficace des flux physiques et d’informations d’une entreprise, de façon à satisfaire le client et lui livrer la marchandise au meilleur coût, en temps voulu et à l’endroit voulu. Il démontre dans cet entretien publié dans la revue « Mutations » comment l’on peut atteindre cet objectif.
Qu’est- ce que la fonction logistique ?
La fonction Logistique, même représentée par une structure fonctionnelle au niveau de l’entreprise, devient par la force des choses l’affaire de toutes les structures de cette entreprise, car satisfaire le client c’est l’objectif de tout son personnel.
Bien ou mal faites, les fonctions de transport, transfert, les prix, la qualité de service fourni et les délais qui composent la fonction Logistique sont aujourd’hui à l’heure de la compétitivité, des facteurs déterminants pour la survie de toute entreprise.
Dans ce contexte, on parlera de « chaine Logistique », car une multitude de facteurs doivent être rationalisés tant pour les flux produits, les flux d’informations ainsi que les autres facteurs pouvant influencer cette chaine, tels les procédures bancaires et financières, les procédures douanières, etc. Lors de notre Journée d’Etudes /Ateliers organisée par le Forum des Chefs d’Entreprises en date du 02 Juin 2016 à Alger , nous avons mis l’accent sur la stratégie à mettre en place à l’avenir pour améliorer nos performances dans le domaine de la Logistique.
Où en est la logistique en Algérie. Est –elle développé ou pas. Quels sont ses points forts et ses points faibles… ?
L’évaluation de la performance logistique figure parmi les questions majeures que les entreprises modernes doivent relever. Des défis émergent principalement à cause de la décentralisation des systèmes de production des entreprises induite par leur réorientation vers le développement de leurs compétences de base et par la nécessité d’implanter des mécanismes d’intégration logistique efficaces.
Comment peut- on l’évaluer ?
Lors des dernières années, plusieurs approches ont été mises en avant pour évaluer
La performance logistique. Parmi celles-ci, le benchmarking, les audits, les modèles génériques du type input / output. Mais, avec la modernisation croissante, l’on s’aperçoit que l’élément fondamental pour appréhender les performances logistiques d’une Entreprise reste évidemment l’entreprise elle-même.
Comment ?
A travers le contrôle des coûts et les délais d’acheminement, la satisfaction des clients
et la productivité opérationnelle.
D’autre part, il apparait de suite que cette performance peut être limitée par d’autres facteurs totalement exogènes à l’Entreprise elle-même, à savoir toutes les facilités dans le domaine des infrastructures (Ports, Autoroutes, Aéroports, chemin de fer, etc..) ainsi que dans le domaine des procédures administratives et bancaires (Commerce extérieur, Douanes, Banques, etc..).
On parle ainsi de compétitivité des Etats, où en plus de tous les indicateurs cités plus haut, on y intègre aussi les indicateurs sur les performances du système financier et bancaire, la connectivité internet, etc.
A ce titre, le tout dernier rapport de la Banque mondiale relatif au classement par Pays de Juin 2016 du LPI (Indice de Performance Logistique) confirme le classement encore faible de l’Algérie.
On parle souvent de déficit en matière de plateformes logistiques. Ces dernières doivent –elles exister dans les ports, aéroports, zones industrielles, ou alors dans les zones d’activités ?
Au départ la plateforme logistique est une sorte d’entrepôt où transitent des marchandises qui sont acheminées du lieu de production vers une zone tampon avant le transfert vers le lieu de consommation finale. Les plates formes permettent un ajustement des flux dans le temps et dans l’espace. Elles correspondent aux lieux où s’organise la fluidité de ces mouvements de marchandises. Plusieurs opérations élémentaires peuvent y être effectuées ; la première consiste à collecter de la marchandise en provenance d’un industriel par exemple pour en assurer ensuite la distribution vers différents destinataires.
La seconde revient à des opérations de groupage/dégroupage. Une troisième fonction permet de passer d’un mode de transport à l’autre. Enfin, dernière fonction élémentaire, la marchandise peut être stockée plus ou moins longtemps dans l’attente de sa distribution qui dépend du donneur d’ordre.
Où doivent-elles être localisées ?
Généralement les plates formes logistiques se construisent en lien avec les contextes particulier sur les territoires qui les accueillent, avant que les Etats ne commencent à les intégrer dans des processus de planification. Au départ , ces zones ont été intégrées dans les zones industrielles, c’est-à-dire à proximité des lieux de production des biens.
Et actuellement ?
Aujourd’hui dans un contexte de compétitivité très avancé, les plates formes logistiques doivent répondre à plusieurs critères afin :
- D’optimiser les implantations des sites de production
- A l’importance de la demande de la clientèle qui externalise la fonction logistique.
- A la spécialisation de plus en plus poussée des unités de production, de rationalisation de la distribution, grâce à la concentration des lieux de livraison qui implique une grande taille des plates formes de distribution.
- A l’implantation des grandes surfaces de commercialisation pouvant être intéressés par l’optimisation de la livraison,
- A la transformation des produits, la rationalisation des flux, et la réduction des prix et délais d’acheminement pour l’exportation
Doivent-elles être accolées aux zones industrielles ?
Non, leur localisation devient de plus en plus contraignante dans les zones industrielles trop accolées aux villes, et donc aux embouteillages et autres nuisances des grandes métropoles.
On privilégie de nos jours leur localisation en dehors des villes, dans des rayons de 50 à 100 Km en liaison directe avec les grands axes routiers, et les liaisons ferroviaires.
En Algérie, cette mission de développer les plates formes Logistique n’est pas définie d’une manière sectorielle ; dans la pratique c’est le Ministère des Transports qui suit cette question, et à ce titre la société publique LOGITRANS (ex-SNTR) a été chargée de réaliser plusieurs plates formes.
Nous considérons que cette action évolue trop lentement et qu’elle demeure insuffisante ; le secteur privé devrait être intéressé au développement de ce secteur, et ce de manière coordonnée sur la base d’une stratégie arrêtée en relation avec l’Aménagement du Territoire.
Le développement de la logistique doit-il être pris en charge par l’Etat ? Les pouvoirs publics locaux, le privé… ?
Le développement de la Logistique est l’affaire d’abord de l’Entreprise elle-même, mais également de l’Etat qui doit veiller, notamment à définir une stratégie et accompagner la mise en place de zones logistiques dans le cadre de l’Aménagement du Territoire. Il doit veiller à consolider une bonne assise pour l’infrastructure de transport (Autoroutes, Aéroports et Ports modernes, chemin de fer, connectivité internet, etc.) Il faut également encadrer et encourager la formation dans la Logistique (Ecoles supérieures et Centres pour la formation de la Logistique et le Transports publics et privés) et améliorer en permanence les procédures du commerce extérieur (Douanes, Banques, Assurances, etc.
Y’a t’il un instrument pour évaluer cette performance ?
Il est temps de mettre en place les instruments nécessaires à l’évaluation périodique et la consolidation de la filière Logistique (Agence nationale de la Logistique)
Encourager la création d’Associations et Unions Professionnelles des Intervenants dans la chaine logistique, qui sont appelées a jouer un rôle fondamental dans le développement, l’organisation et la réglementation du secteur de la Logistique.
De son coté l’Entreprise doit veiller à organiser la fonction Logistique, en assurant une maîtrise des coûts et des délais d’acheminement ; dans une économie ouverte à la compétition, la fonction Logistique devient une priorité de survie pour toutes les entreprises.
Le transport de marchandises destinées à l’export doit-il être subventionné ? Si oui par qui ?
L’Algérie , par la force des choses , est de plus en plus tenue, pour maintenir l’équilibre de sa balance commerciale , à forcer le marché de l’ exportations qui est demeuré insignifiant à ce jour en dehors du secteur des Hydrocarbures .
L’Etat n’est pas tenu de subventionner les marchandises à l’exportation pour au moins 2 raisons :
- En a-t-il toujours les moyens aujourd’hui ?
- Et surtout dans un système mondial très compétitif , cela risque d’engendrer d’autres difficultés d’ordre réglementaire
L’Etat à quand même un rôle à jouer !
L’Etat a un rôle décisif à jouer pour la promotion des exportations et notamment :
- Mettre à disposition au niveau national des infrastructures modernes (Ports, Aéroports, Autoroutes, accessibilité aux chemins de fer, etc.)
- Favoriser les liaisons maritimes, aériennes, routières et ferroviaires pour le transfert rapide et au moindre coût des marchandises vers l’étranger
- Faciliter les procédures douanières à l’export et à l’import des matières premières
- Faciliter les opérations/procédures bancaires avec l’extérieur, ainsi que les couvertures d’assurance à l’Etranger
Quel est le mode de transport de marchandise le plus utilisé en Algérie (routes, chemins de fers….) ?
En Algérie le transport ferroviaire des marchandises a beaucoup régressé. Cette situation est justement née de notre économie qui a été longtemps dominée par la pénurie, et où comptait seulement la livraison du produit sans trop se soucier du prix.
Ainsi a-t-on vu se développer très rapidement le transport par camion pour des raisons de facilité, y compris pour les transports de très longue distance.
Le Transport routier représente plus de 95% des Transports intérieurs.
Moins de 05% des marchandises sont transportées par voie de chemin de fer ; en effet seuls aujourd’hui sont acheminés par voie ferrée certains produits de masse tels les céréales, les hydrocarbures ou encore les minerais.
Depuis environ une décennie des efforts très importants sont faits pour étendre le réseau ferré ; ainsi prés de 2000 Km sont, soit en fin de réalisation ou sont déjà lancés.
Il devient impérieux de réorienter les transports aujourd’hui dominés par le Transport terrestre, vers les chemins de fer en accordant toute l’attention voulue à ce secteur.
Ainsi l’Etat doit entre autres :
- Exiger que toutes les nouvelles zones logistiques soient reliées au chemin de fer.
- Encourager en finançant tous les embranchements ferroviaires aux sites de production lorsque c’est possible.
- Réaffirmer que le développement du chemin de fer est une composante de l’Aménagement du territoire.
Pour l’exportation, le cap est mis sur l’Afrique. Un forum africain aura lieu à Alger en décembre et les opérateurs économiques se disent prêts à investir l’Afrique. « Logistiquement » parlant en ont- ils les moyens ?
Il sera difficile dans le contexte actuel de l’organisation de notre économie de faire plus. Le secteur de la Logistique est directement affecté par les dispositions financières de la Banque d’Algérie. L’operateur algérien ne peut pas acheter un transport à l’étranger ; aussi une société qui ne dispose pas d’un réseau international de distribution de ses produits lui permettant de compenser les paiements par l’intermédiaire de ses fournisseurs de services de transport n’a donc aucun intérêt à s’intégrer aux chaînes d’importation. Cela revient à dire que nos entreprises demeurent sévèrement handicapées par une réglementation archaïque qui n’a pas évolué avec les changements intervenus depuis des décennies. A moins que d’ici là les choses n’évoluent rapidement vers une plus grande fluidification. L’autre grand défi à relever sera la rapidité de notre système bancaire et la protection des Assurances à accompagner les exportateurs vers les pays d’exportation.
L’édition 2016 de l’indice de performance logistique publié le 28 juin par la Banque mondiale positionne l’Algérie à la 75ème place sur 160. A quel niveau faudrait-il agir pour améliorer notre classement ?
Les améliorations se situent à différents niveaux ; c’est un travail de longue haleine qui ne donnera tous ses fruits que plusieurs années plus tard. Il devient impératif de tracer une Stratégie en la matière pour soutenir une vision d’avenir ; la survie de certaines de nos entreprises en dépendra car certaines d’entre elles vont dépendre entièrement des exportations. Les améliorations se situent dans la modernisation des infrastructures, l’allégement des procédures du commerce extérieur et la formation dans le secteur de la Logistique. Ce sera le grand défi que l’économie algérienne devra relever au vu de la conjoncture pétrolière à venir. C’est par les exportations que la croissance interne devra être soutenue, et non plus par les Hydrocarbures.
Entretien accordé à la revue Mutations de la Chambre Algérienne de Commerce et d’Industrie (CACI)
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